samedi 17 décembre 2016

Deux maux et le compte est bon

De quoi souffre notre littérature? Quels sont ses deux ennemis (les ennemis vont toujours par deux…)? A ces questions, un écrivain a récemment répondu, et très clairement. La menace vient "du déferlement des best-sellers anglo-saxons et de l'auto-fiction névrotique parisienne". Oui, c'est Andreï Makine qui le dit. Avec passion. Peut-être a-t-il même raison. Peut-être faudrait-il ne traduire que des livres anglo-saxons qui se vendent mal et ne publier que de l'auto-fiction névrotique provinciale, ou de l'auto-fiction parisienne psychiquement équilibrée… Le problème, c'est que ce genre de propos paraît presque risible quand il est proféré en habit vert d'académicien confectionné par Armani, et qu'il s'adresse à des pointures comme Xavier Darcos, Alain Finkielkraut, Marc Lambron, Jean-Marie Rouart, Michel Déon, Max Gallo, Valéry Giscard d'Estaing, etc. On a presque envie, après ça, d'aller lire un best-seller névrotique auto-saxon et anglo-parisien à la terrasse d'un Flunch. Mais bon, comme l'a dit Dominique Fernandez lors de l'intronisation de Makine sous la Coupole, ce qu'on sent surtout chez ce pourfendeur des névroses littéraires, c'est le "charme russe". Ainsi paré, on est tranquille: pas de risque de sombrer dans le cliché. Ouf. Vive la langue française, vive l'âme russe et vive Armani!

jeudi 15 décembre 2016

Un éléphant en forme de colifichet

Pareil aux pyramides d’Egypte, le roman croit encore qu’il lui suffit de dresser sa tente de pierre dans le désert de notre écoute pour qu’on contemple, depuis sa cime pourtant impropre à la position assise, les vastes paysages qui ne parlent plus. Nulle crainte là-dessus : Le roman est un véhicule qui continuera de rouler même quand il n’y aura plus de route, il lui suffira d’imiter le bruit du moteur et celui du vent dans les arbres abattus en gonflant les joues de ses chapitres. Le roman est un roc de carton-pâte, et certains aiment à le pousser en haut de la montagne pour mieux le voir rouler dans la vallée sans faire de bruits – et tant pis s’il finit sa course dans le lac des banalités communes. Le roman est notre joyeux badaboum, notre amusant tralala, la pataugeoire de nos modernes ennuis. C’est un éléphant en forme de colifichet, ou le contraire, on ne sait trop, bref un monstre sorti de la brousse qui barrit dans l’interphone en suçant des dragées. S’il lui arrive de croiser la poésie, il oublie souvent de la saluer, la prenant à tort pour un oiseau ou un rostre, alors qu’elle a huit pattes et le regard aigu du tisserand. Il rime avec lui-même en une discordance à jamais décomplexée.
Mais la poésie, qui prend le langage pour argent mécontent et le dépense à nos frais, n’aura eu de cesse – nous le savons, l’oublions, le savons – de se faire et se défaire, parce que plus ancienne, parce que plus instable. Certes, elle aussi a baigné dans le charnier des épopées, elle aussi a conté autant que chanté, mais elle en est ressortie trempée du cauchemar du dire ainsi qu’un acier épris de rouille. Elle a toujours préféré être la lame plutôt que le manche, histoire de rester insaisissable, car trancher est sa grande affaire, tandis que le roman, lui, passe ses après-midi pluvieuses à faire des nœuds de tout et de rien dans le salon de la complaisance.
Les corsets que la poésie a pris coutume de serrer sur son abdomen d’abeille, les longs voiles dont elle a joui comme si c’étaient des rideaux qu’il suffisait d’écarter pour qu’on admire sa transparence de feu, les chaînes dont elle s’est parée afin de jouer les hercules de foire en tutu – tout cela a fini remisé dans les coulisses d’un théâtre, le théâtre de la tradition. Or les traditions, comme les fleurs dont on étouffe les morts, sont périssables. Le vers, longtemps en petit et grand apparat, a su se libérer à temps des contraintes métronomiques pour mieux ramper dans les tranchées de 14, monter à bord du Transsibérien et singer la fête nucléaire.
La poésie est une flèche qui prend pour cible la vibration même de l’arc. Le roman, lui, a d’abord été charrette, puis locomotive, c’est aujourd’hui une promotion et un sac à dos, on le porte en guise de coquille sans se formaliser du boulevard baveux qu’il laisse derrière lui. Il fanfaronne, sifflote, tambouille sa popote, fait claquer sa culasse et tire au flanc. Il se rend au supermarché des émotions comme dans un bordel, étend ses calques vitreux sur les vieux livres d’histoire, s’assoit devant l’âtre et compare les bûches à des crocodiles, et les flammes à des lianes – regardez-le tisonner son propre reflets dans la cendre, c’en est presque émouvant. Le roman est une aubaine, une barrique à malices, c’est un géant d’un mètre soixante et onze qui vous donne l’accolade en vous faisant les poches, qui se déguise en gondolier pour vous faire croire que Venise est partout, et chie des miroirs pour renforcer l’impression de profondeur qu’il dégage. Fardé comme une brute, il a de quoi tenir bon jusqu’au soir, et vous donne du fil à retordre comme si vous étiez la reine des brodeuses abruties.

Mais la poésie, elle, dont nous serions bien incapable de donner la moindre définition, dont la définition même est une hérésie, est la sœur de cette charogne décrite par Baudelaire au détour d’une strophe qui est aussi un chemin : à la fois vive et inerte, se nourrissant de ce qui la dévore, tour à tour ignoble et splendide, comme il se doit aux révélations qui ne sauvent de rien. A jamais déserteuse, et sans doute désertée, parce qu’ayant compris et accepté que le désert, en elle et autour d’elle, croît, elle n’en finit pas d'ourdir à l’écart de l’ombre du roman, cet effaré satisfait.
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Photo: Salam sphinxé devant l'HP.

mercredi 14 décembre 2016

D'une machine célibataire l'autre…

Dans sa préface à son recueil de traductions – Imitations – le poète Robert Lowell explique qu'il a travaillé avec la pensée suivante à l'esprit: traduire comme si les poètes qu'il traduisait écrivaient en américain aujourd'hui. Bien sûr, Lowell ne cherchait pas à dire qu'il imaginait Rimbaud débarquer dans les années 60 ou Villon arpentant la Cinquième Avenue. Non, son idée était de laisser une nouvelle "chance" au poème en lui permettant de s'écrire de nouveau dans une autre langue. Certes, Lowell prend des libertés, il retranche, ajoute, déforme, contourne, et ne s'en cache d'ailleurs pas. Mais retenons cette idée d'un poème qui se récrit.

Quand on traduit, on entend beaucoup de choses, des rafales de sens, des séismes sonores, des grincements de grands écarts syntaxiques, etc, mais on entend également autre chose: on entend la poussée de sa propre langue sous la surface de la langue autre, comme si l'étranger, se sentant désiré, consentait à une forme de fermentation, et laissait ses glucides linguistiques se transformer. Les langues n'ont pas d'âme, mais elles partagent souvent une longue histoire de domination et de bâtardise qui leur permet d'échanger des signaux, elles ont évolué à force de collusion, de rapt, d'accouplements; elles se savent poreuses. La traduction permet non seulement de libérer les forces métamorphiques du texte de départ, mais de le considérer également comme, précisément, un départ. La traduction apprend à s'élancer, à partir, quitter. Plutôt que d'être un simple "adieu", la traduction transforme la séparation (un texte nouveau quitte l'ancien) en transmission, au sens technique, un transfert de l'énergie métrique d'un texte vers un organe utilisateur. D'une machine célibataire l'autre…

lundi 5 décembre 2016

Entre ici, Alexandre Jardin !

Je comptais ne pas reprendre ce blog avant au moins la semaine prochaine, quand j'apprends avec stupeur qu'Alexandre Jardin a décidé de présenter sa candidature à la présidentielle. Au vu des œuvres commises par nos précédents présidents, on se dit qu'il a toutes ses chances, aussi aimerais-je ici revenir sur mes jugements un peu durs envers ses romans.

J'ai sans doute cédé à la jalousie, été motivé par une détestable aigreur, née de mon peu de succès auprès du lectorat. Aveuglé, je me suis avili en souillant l'œuvre de Jardin, sans parvenir à en voir les beautés et fulgurances. Je présente à l'auteur du Zèbre toutes mes plus plates excuses. Si jamais il advenait qu'Alexandre Jardin accédât (je ne suis pas sûr de ce subjonctif, mais il est vrai que je ne suis plus désormais sûr de rien…) aux plus hautes fonctions de l'Etat, j'aimerais qu'il se montre clément. Qu'il sache que je vais lire (et/ou relire) ses livres afin d'en apprécier toute la somptueuse somptuosité. Je serai, s'il le faut, son plus fervent admirateur, et s'il est aussi magnanime qu'excellent styliste, peut-être me fera-t-il l'honneur de me confier un poste de ministre.

Il se murmure déjà qu'en secret il prépare son équipe. On évoque David Foenkinos à la Culture, Florian Zeller à la Jeunesse et aux Sports, Marc Lévy à la Gestion des Stocks, Delerm à l'Agriculture… Tout cela fait rêver et donne le vertige. La France enfin, peut-être, va se relever. Jardin président: voyez comme ces deux mots s'accolent avec tendresse. Mais bon, je reconnais que ce qui m'excite le plus dans l'éventualité de cette présidence, c'est qu'une fois occupé à redresser la nation, Alexandre Jardin n'aura plus le temps de se consacrer à l'écriture. C'est une pensée un peu perverse, certes. Nobody is perfect.