lundi 2 mars 2015

Bertina: Visa Fable

Difficile d'arrêter le Temps. On est en 2014 et l'écrivain Arno Bertina se rend à Bangoulap, dans l'ouest du Cameroun, où il est présenté (à moins que ça ne soit le contraire), à Sa Majesté Yonkeu Jean. Le protocole est bon enfant, même si le roi se fait un peu attendre – mais comme l'a dit à l'auteur l'écrivain Eugène Ebodé:
"Vous les Européens vous avez la montre; nous, en Afrique, nous avons le temps."
Bref, Bertina est en visite. Il se rend à la chefferie, y admire quelques œuvres locales – frise, totem, peau, panneau en bois sculpté. Mais le Temps, on l'a dit, ne s'arrête pas. Et nous voilà vingt pages plus loin, en avril 2016. Divers monarques camerounais – des chefs du pays bamiléké – réclament la gratuité du musée du Quai Branly pour leur peuple, puisqu'y sont exposés des œuvres originaires bamilékés. A partir de là, le Temps, qui tourne moins rond qu'une montre, s'emballe. C'est l'escalade, cette histoire de gratuité fait boule de neige, la question de la restitution des œuvres est remise sur le tapis, le tapis agité comme un drapeau, le drapeau claque, la Kultur tremble, etc.
Fidèle à son sens du sérieux vicié, Bertina, en faussaire rusé, déroule en cinquante pages une fable détaillée, décapée, intitulé Des lions comme des danseuses, où la question de l'identité européenne se voit soustraite au jugement des Européens qui n'ont pas assez médité ce proverbe made in Cameroun:
"Ce qui se monnaye n'a que la valeur de l'argent."
Ce court texte est publié dans la nouvelle collection « Fiction(s) d’Europe », collection née d’une rencontre entre les éditions La Contre Allée et la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société (MESHS):
"Désireuses de réfléchir ensemble au devenir de l’Europe, la Contre Allée et la MESHS proposent des récits de fiction et de prospective sur les fondations et refondations européennes. Les trois écrivains sollicités pour l’édition 2015 sont Christos CHRYSSOPOULOS, Gonçalo TAVARES et Arno BERTINA."
Je résume: Un Grec, un Portugais et un Français rentrent dans une contre-allée… Coup de bol, ce n'est pas une blague. Signalons également, toujours d'Arno Bertina, sa pertinente postface au texte de Denis Jampen,  Héros, que viennent de publier les éditions MF, postface dans laquelle Bertina nous rappelle in extremis que "Thanatos enculera toujours Eros". Soit. Je suppose qu'ainsi chacun y trouve son compte.
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Arno Bertina, Des lions comme des danseuses, éd. La Contre Allée, coll. Fictions d'Europe, 6 €
Denis Jampen, Héros, précédé d'un "Avertissement en guise de préface" et suivi d'une postface par Arno Bertina, éd. MF, coll. Inventions, 12 €

1 commentaire:

  1. "Ce qui se monnaye n'a que la valeur de l'argent." La grande pauvreté ou le dénuement pour matrice à la sagesse, comme un thé de Chine dans votre tasse pour votre soif.

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