vendredi 30 septembre 2011

Ce soir, escale charybdéenne.

Ce soit, vers 18h30, je serai à la librairie Charybde, qui m'a très gentiment invité afin de les aider à vendre des livres (je schématise, bien sûr). Le principe est le suivant, cette librairie spécialisée dans la fiction, et dont j'ai déjà parlé, va inviter tous les mois un être humain ayant un rapport obnibulesque au livre afin de présenter, oralement, ses dix livres de choix. Et ce soir, donc, un écrivain a le droit de jouer au libraire, peut-être même de tenir la caisse, qui sait? C'est donc le CDD en librairie le plus court de l'histoire de la librairie. Autant en profiter. Il y aura des gens, du papier, des gobelets, et même des madeleines au chorizo ainsi que du cake au pistou s'il ne crame pas pendant que je rédige ce post. En fait, il sera moins question de livres que de lecture, et nous nous emploierons avec rigueur à établir fermement ce point qui nous tient à cœur.  Qu'est-ce que lire? avoir lu? n'avoir pas lu? croire qu'on a lu? Si j'étais audacieux, je rajouterais même: etc.
L'événement est également notable par le simple fait que je suis l'invité du mois d'octobre et que nous sommes le 30 septembre. Comme quoi les libraires sont des gens prévoyants. Il y aura aussi quelques-uns de mes livres, donc si ça ne vous emballe pas d'acheter les œuvres complètes d'Alexandre Jardin (dont je dirai quelques syllabes), vous pouvez toujours fayoter.

mardi 27 septembre 2011

Le lecteur du livre qui

On pourrait vous baratiner et vous dire que c'est un roman noir. Mais, depuis Homère et David Peace, vous baratiner n'a jamais vraiment marché. Alors disons que La femme d'un homme qui, de Nick Barlay, qui sort en librairie le 6 octobre aux éditions Quidam, est un roman en deux couleurs, et que ces deux couleurs suffiraient à elles seules à redéfinir l'arc-en-ciel douloureux de l'écriture.
On pourrait vous dire que l'héroïne est une veuve récente, anorexique, barrée, ingérable, indécidable jusqu'au bout des ongles, et que son mari avec lequel elle a tout juste convolée six mois a été retrouvé mort, un quartier d'orange entre les dents, strangulé au cours d'une tentative d'auto-érotisme qui était peut-être moins fun que ça. Mais vous baratiner, faut-il le répéter, n'a jamais marché.
Vous avez refusé de croire que Beckett écrivait des romans d'amour et qu'Arno Schmidt tissait des pastorales. Donc, La femme d'un homme qui n'est pas un roman noir. On aimerait bien, parce que ça permettrait de le lire sans passer son temps à trembler pour la langue qui est en nous comme un poison de plus en plus véloce.
Il était donc une fois, et sans doute plus d'une fois, la femme d'un homme qui. Et dans l'inachèvement de ce titre gît la splendeur d'une écriture qui, loin d'être inachevée, frôle avec l'exhaustivité de la déréliction. Oui, bien sûr, il y a une enquête, une mort suspecte, des indices, un périple, des problèmes. Il y a surtout, en double terrible de la narration, l'impossibilité à décider, trancher, reconnaître. Car Joy, la femme de l'homme qui, est à elle seule la folie de l'énonciation et son ultime leçon : Joy, au nom maudit, réussit l'exploit de nous emmener au bout de la nuit et de nous faire douter du mot "nuit", qui est bien trop doux pour là où elle va.
L'écriture de Nick Barlay est une épreuve. Au sens où: elle initie à elle-même, faisant de nous à la fois un lecteur livre et esclave. Je m'emballe, certes. Mais chez Barlay, le "certes" ne tiendrait pas longtemps, il finirait dans une flaque d'huile avant de devenir l'ombre d'une souffrance, puis le cri d'un oiseau. C'est comme ça. Car Barlay a sa façon bien à lui de dire deux fois ce que les choses sont et ne sont pas, quand celui (ou plutôt: celle) qui les voit meurt à chaque seconde dans le dédoublement de la vision. Dans le pli de l'indésirable compréhension. L'auteur sait décrire, avec une intelligence millimétrée, le spectre des vacillements dès lors que ce dernier se réfugie dans la tentative d'avancer.  Chez Barlay, tout est susceptible d'être soupçonnée: la réalité, l'idée qu'on s'en fait, la matière qu'on en tire, la langue qu'elle nous lègue. Le style se feuillette, se casse, se noie plusieurs fois dans la même eau, que tu bois, assoiffé, parce que la femme d'un homme qui. Parce que ne pas finir.
Belmondo, dans un film de Truffaut, disait à peu près ceci : "T'aimer est une joie, c'est une joie et c'est une souffrance". Lire Barlay, c'est ça. Il nous force à aimer la chute, la dérive, la palpation irrépressible de l'ignominie, au nom d'un principe qui est la justesse. La justesse? Oui, car pour savoir décrire l'indécision pathologique de son héroïne, son dégoût de soi et sa peur de la porte à pousser comme si c'était la texture même du doute devenu chair, eh bien, il faut plus qu'un certain talent.
Barlay nous fait le coup du vaudou. Il nous totémise et nous dissèque. Et s'il pouvait nous sauvez, il le ferait. Mais bon, c'est une autre histoire. En disant "tu" quand il parle de Joy, en cassant, brindille de phrase après brindille de phrase, ce qu'il nous donne comme bois à brûler, en reprenant des motifs brûlés qu'on ignorait amadou d'autre chose, il avance, avance dans son récit en nous poussant, nous trébuchant, nous incitant. Il faut dire qu'il a conçu, pour son personnage, une conscience si précise et si intime que nous voilà les otages incandescents de la femme qui.
"Une tache d'aube s'étire au-dessus de la mer. Le premier être humain est déjà sur la plage, un homme, un golfeur qui pratique son swing contre le vent sifflant du large. Dans les haut-parleurs, la cassette siffle tel le vent. Les mots de centaines de contes pour enfants te traversent l'esprit, les réprimandes, les mises en garde quant à l'ouverture de portes ou de boîte. Quoi que tu fasses, n'ouvre pas la boîte. Quoi que tu fasses, ne franchis pas la porte. Quoi que tu fasses, ne le fais pas. [.…] La scène est ainsi prête pour le désastre, la perte catastrophique."
Donc, le 6 octobre, tu vas en librairie, tu prends la femme d'un homme qui est mort par la main, et tu découvres l'écriture de Nick Barlay. 
"Tu voudrais poser des questions objectives, permettre aux détails d'apporter un peu de lumière, mais tu en es incapable, quelque chose t'en empêche. Que t'apporteraient les détails objectif? Il te suffit d'imaginer le pire, pour savoir."
Lecteur, imagine le meilleur, et tu ne seras pas déçu. Joy est une souffrance qui se mérite.
________________
Nick Barlay, La femme d'un homme qui, traduit impeccablement par l'indispensable Françoise Marel, la traductrice (entre autres…) de B.S. Johnson, publié par les éditions Quidam.

lundi 12 septembre 2011

Ecrires (!)

Un peu barbare ce "s" à la fin du verbe (?) écrire, mais bon, disons les choses comme elles sont, ou plutôt disons qu'il s'agit d'autre chose. Ecrire n'est jamais commettre l'acte singulier d'écrire, sinon ça serait de la balle, du toboggan, du prends-moi-là-tout-de-suite. La singularité de l'écriture, si je ne m'abuse ni me mens, c'est plutôt la pluralité de son feuilleté, l'incroyable multitâche dont elle s'honore et s'humilie, à proportions inégales. Puisqu'écrire un livre (prenons cet exemple plutôt que celui du roman formaté qui cause du trentenaire de quarante ans amoureux de la violoncelliste rousse qui lui fait oublier sa rupture urbaine…), puisque, donc, écrire un livre c'est écrire plusieurs livres (many books) :
le livre qu'on aimerait écrire (= le plan simplet qui a germé après un verre de chablis ou la lecture d'un article dans Le Monde 2)
+ le livre hyper construit qu'on échafaude comme un organigramme 
+ le livre mouvement & fluidité qu'on imagine et ressent
+ chaque phrase qui va et vient et avec elle colporte des pistes noires pour lesquelles nos skis à l'encre noire semblent peu faits
+ la mesure de ce qu'est un paragraphe dès qu'il arrête de se branler au lieu de s'écourter + la conception du poids précis d'un chapitre, une fois les calories cramées des brouillons
+ le livre qu'éventuellement on voudrait digne d'être lisible
+ le livre qu'on se fantasme lire à haute voix
+ le livre secret qui toque à la trappe du livre officiel
+ le livre raté qui veut à tout prix aider le livre réussi à flancher
+ le livre déconstruit qui rappelle au livre construit que l'architecture n'est pas tout
+ le livre instinctif qui essaie vainement de sauver le livre archi-pensé
+ le livre amoureux de son style qui s'aperçoit qu'il est assis sur lui-même… 
(ouf, on en passe…)
Ecrire c'est toujours brasser mille cartes d'une seule main. Parce que décrire une pierre peut être une façon d'expliquer la jalousie, parce qu'un dialogue peut être un détour pour ne pas décrire, parce qu'exposer une situation ne vaudra jamais la tentative de description d'une fêlure à la surface bombée d'un vase; parce que bannir le possible de la poésie du roman c'est juste se faire croire que le réel est un produit et non une production; parce qu'un mot pèse sa plume et son plomb selon qu'on croit à l'avenir du kilogramme en vase clos et cependant farcie d'un million de fleurs en plastique recyclable mais dans quel lecteur?
Bref, l'écrivain fait plusieurs choses à la fois (on l'espère), et à chaque fois essaie (on l'espère) de se rappeler toutes ces choses, pour ne pas en faire qu'une seule (sinon il sera primé), pour ne pas en faire trop (sinon il sera loué). Et c'est sans doute là la magie d'écrire, sa prestigieuse, acide, agitation: faire mille et un comptes en une seule addition. Ne jamais perdre de vue les mirages, les horizons réels, les vues de l'esprit. Etre le grand contrôleur qui se permet le luxe de perdre pied pour changer de pointure.
Qu'est-ce à dire? Ecrire n'est pas dire. C'est peut-être le contraire de dire. Se dédire? Allez savoir. Enfin, si vous voulez savoir, eh bien, n'écrivez pas, on ne sait jamais.
(To be continued?)

Soyez Dangerous !

En librairie le 28 septembre:




La vie avec Mister Dangerous 



de l'excellent Paul Hornschemeier, traduit par votre serviteur, et publié par Actes Sud BD.
Vous saurez tout sur Amy et sa vie sans sel, sa mère, son mec, son ex, son nouveau, son meilleur ami qui n'est plus là, et surtout sa bouée-télé, où sévit l'inimitable Mister Dangerous, héros aux formes pliées, dont use Hornschemeier pour phagocyter la narration et délivrer les formes. En guise de tiseur, deux planches qui m'ont donné du fil à retordre côté traduction…

jeudi 8 septembre 2011

De quoi parle un livre (d'une femme nue tout en sable sculptée?) ?

De quoi ça parle? La question, quand elle survient, a l'aspect rêche d'une pierre censée poncer quelque chose. De quoi parle un livre? Bonne question. Question qui, en dépit de son authentique souci, a déjà commencé à nier son objet. Car si l'on demande de quoi parle tel livre, on ne peut (qu'on soit écrivain, éditeur, libraire, lecteur, etc.) décemment répondre qu'il traite de… l'épineux problème du style. Ce qu'on attend comme réponse, c'est la divulgation du sujet. Or le sujet, on le sait depuis quelques milliers d'années, pas seulement depuis Beckett et Bobin (je déconne…), est le meilleur ennemi de l'écrivain. Il est son dada et son bouclier, sa rampe de lancement et la fosse où tout peut finir, fers en l'air. Il est, littéralement, le "pré-texte" au texte, parfois son "sous-texte", trop souvent son "con-texte" (littéralement…). C'est en lui que réside, apparemment, les clés de la demeure. Lui qui a charge d'émotion, de rire, de réflexion. Il est socle, structure – et surtout: ancre folle, qui entraîne l'esquif et ses passagers par le fond, à force de racler un sable que personne ne voit.
On s'en doute. Un livre (je parle ici de fiction, bien sûr), ne parle pas de quelque chose, bien que pas mal de romans, par fainéantise et adoration d'un pseudo-réel romanesque, parlent effectivement de quelque chose, et ce en dehors de toute parole à reconstruire. Il ne parle pas de quelque chose, il expérimente plusieurs choses, qui ne sont pas des choses, mais déjà des combinaisons d'affects, de grammaires secrètes, etc.
Pourtant, le sujet fanfaronne sur la scène, émissaire autant qu'éponge. Il se croit le porte-parole du livre. Disons crûment les faits. Si j'écris un roman qui évoque le déchirement d'un couple après la mort d'un nouveau-né, je suis presque assuré, sauf faux-pas, de produire de l'émotion – et ce quel que soit mon écriture (je schématise). Ce qui va émouvoir, ce ne sera donc pas à proprement parler mon écriture, mais le sujet (même anecdotique, périphérique, etc.), par le seul fait que le sujet en question sera fort.
Le sujet (même lointain, feutré, parcellaire) cherche à remporter la mise. Il est, forcément, nécessairement, ce contre quoi je dois lutter. Car si j'écris, mon projet ne peut être décemment d'émouvoir le lecteur en lui racontant la mort d'un nourrisson et la séparation d'un couple. Ou le décès d'un grand-père adoré. Ou la défenestration d'un mentor. Ou… 
Un écrivain conscient de ces erreurs de parallaxe ne devrait jamais perdre de vue ce hic. L'idéal serait d'arriver à émouvoir le lecteur en lui racontant la mort d'une éponge (une éponge de cuisine, tant qu'à faire). On saurait alors avec certitude qu'il ne mise pas sur un fonds émotif commun pour obtenir l'adhésion du lecteur. Ce qui n'est pas si saugrenu que ça, puisqu'il n'est pas censé rechercher l'adhésion du lecteur : n'a-t-il pas autre chose à faire? cent mille autre choses à faire dans son écriture?
De quoi ça parle? Oh, faudrait-il répondre d'un air désabusé, tu sais ce que c'est, une banale histoire d'adultère entre grammaire et lexique, mais à la fin les épithètes détruisent les adverbes et la ponctuation s'enfuit vers des terres nouvelles.
De même que l'écrivain se doit de lutter contre son sujet, il a devoir de combattre  son style, n'ayant aucune envie de se parodier lui-même, sauf si bien sûr la recette lui importe plus que la confection. Ceux qui ne luttent pas contre leur sujet, ne combattent pas leur style, savent très bien ce qu'ils font: ils laissent leur livre parler d'autre chose que de lui, laissent leur livre parler, et dénoncer allégrement les thèmes qu'ils ont abordés (mais hélas pas sabordés).
(to be continued?)

OpenBox

Good news! Un des créateurs des éditions Sarbacane, Frédéric Lavabre, vient de s'associer avec la libraire Caroline Meneghetti pour ouvrir une boîte à livres à Paris, une librairie sise au 20 de la rue des Petites-Ecuries, dans le Xème arrondissement, répondant au doux nom de L'Ouvre-Boîte. Il paraît qu'on y trouvera des "livres et des auteurs inattendus", ce qui tombe bien, parce que bon, Funkinaze et consorts, on n'est pas trop chauds… Après l'ouverture début juillet de la librairie Charybde, spécialisée dans la fiction (où je présenterai dix livres qui me tiennent à cœur le 30 septembre – mais on y reviendra bientôt…), voici un nouveau point de chute (d'élévation, plutôt) pour tous ceux qui estiment qu'un livre n'est pas un être humain comme les autres… Rendez-vous donc a priori le jeudi 6 octobre pour dévaliser haut les cœurs ce nouveau havre de mots. En attendant cette date, il paraît qu'on peut aller flâner à cette adresse pour suivre la progression des travaux.

Sing me a song


Un peu vite estampillé crypto-Velvet, Jonathan Richman arpente la scène musicale en boule de billard numérotée 8 préférant les trous noirs aux bandes.

La postérité l’associe à « Road Runner », mais si nos éclectismes avaient été à la hauteur de notre insouciance, on serait tous aujourd’hui à fredonner « Abdul and Cleopatra », où la voix de Richman, caoutchouteuse et sémillante, égyptonise, d’une futilité rassurante, rêveuse.

Tessiture à la Syd Barrett saupoudrée de glockenspiel, fantaisies animalières, JR n’a qu’une devise : le plaisir tu ne bouderas pas.

mercredi 7 septembre 2011

Des chiffres et des lettres

Le Festival international de la littérature (FIL), qui se tient chaque année au Canada du 16 au 25 septembre, est en péril. Il n'aura pas droit cette année à la subvention du Fonds du Canada pour la présentation des arts (FPAC) du ministère du Patrimoine canadien, d'un montant de 65 000 $.

Par ailleurs le nouveau logo des Muséums nature de Montréal, réalisé par la firme Cossette, a coûté 65 000 dollars.

Sinon, le tarif pour une page de publicité en noir en blanc dans le New York Times, est en général de près de 65 000 dollars, somme qui est par ailleurs ce que le Conseil des arts et des lettres du Québec et le Conseil des arts du Canada a octroyée à l'artiste montréalais Cesar Saez pour faire flotter l'an prochain dans le ciel du Texas une banane géante de 300 mètres de long gonflée à l'hélium. On comprend que le site TMZ ait dans soute déboursé une telle somme pour acquérir une photo de Rihanna agressée, somme qu'il faut en outre sortir si l'on souhaite passer une nuit (une seule) à l'hôtel Président Wilson de Genève (mais on a l'écran LCD et aussi du marbre dans la salle de bains).
Oh, ce n'est pas tout! Willa Cather écrivit en 1894 soixante-cinq mille mots dans le Nebraska State Journal, sans se douter un seul instant qu'un jour on vendrait des lampes torches led haute performance dont la durée de vie est, espérons-le, de soixante-cinq mille heures.
Voilà, c'était notre nouvelle rubrique intitulée "On ne nous cache rien, on nous dit tout, c'est fou ce qu'on s'en fout."

mardi 6 septembre 2011

La rentrée littéraire: choir ou choisir

Disserter sur le phénomène de rentrée littéraire, c'est là un des dadas de la presse… à chaque rentrée littéraire. Outre le fait que ça permet de prendre la place d'un article sur un livre – un peu comme une énorme photo d'auteur dispense d'aller au-delà de deux mille signes… –, ça permet parfois de sortir un ou deux propos révélateurs. En philo, on appellerait sans doute ça le retour du même (pas du refoulé, hein…) mais différemment. Same thing but different, comme dit l'autre. On sent comme un sentiment de culpabilité, voire de gêne à chaque rentrée, sentiment qui heureusement se double d'une petite dose de fierté. Du style: bon d'accord, on est fous, on publie trop, plus de six cent bouquins en trois semaines, comment voulez-vous qu'on s'y reconnaisse, etc. Mais aussi: bon d'accord, ça peut paraître dingue, excessif, mais quel pays peut s'enorgueillir d'autant de coups de projo sur autant de livres. Bref; trop c'est mieux que rien, voire utile.

Un article paru sur le site Les Echos, et signé fabella (!), vient fort à propos dissiper quelques malentendus. On y apprend deux choses passionnantes:
1/ " la présence des livres dans tous les médias, donne des moyens formidables, qui n’existent pas le reste de l’année, pour toucher le lecteur occasionnel là où il est. (…) Le fait que l’on parle de livres, au journal de 20h ou dans les magazines généralistes, avec des conseils d’achat, au-delà de ce cercle littéraire fermé qui ne s’adresse qu’à lui-même, est indispensable pour ne pas se couper du lecteur intérimaire.

2/ "Celui qui lit 12 livres par an, peut supporter un ou deux échecs. Celui qui en lit un, s’il se trompe, n’essaiera peut-être pas l’année suivante. Il ira rejoindre, malgré lui, la foule immense qui ne lit plus de livres… Quel est le bon critère pour choisir? La couverture. Le titre. L’auteur?…. C’est difficile. Alors pourquoi pas le prix littéraire? Auréolé de son image d’expertise, le jury rassure. Quels que soient les détours qui conduisent un livre a recevoir un prix, s’il a été choisi parmi 654 autres, par ceux qui en lisent beaucoup, c’est qu’il ne peut pas être totalement raté."
Ouch! On appréciera la formule "ce cercle littéraire fermé qui ne s'adresse qu'à lui-même". Outre le fait qu'un cercle a pour ambition première d'être fermé – sinon ce n'est plus un cercle mais un doughnut entamé –, on est ravi d'apprendre que les livres évoqués à 20h à la télé réveillent le lecteur qui se cogne de tout ça. Ensuite, on apprend que les prix littéraires (pas la peine de préciser de quels prix il s'agit parmi les 3000 et quelques qui existent…) permettent au lecteur qui ne lit qu'un livre par an de ne pas se tromper.
Allons, ne soyons pas de mauvaise foi et ne critiquons pas ces réflexions qui ne sont pas bien méchantes, à défaut d'être futées. Mais retenons toutefois une chose:
"Celui qui en lit un, s’il se trompe, n’essaiera peut-être pas l’année suivante".
Ah, mais voilà qui est passionnant. Lire un livre et en même temps se tromper! "Supporter un échec", d'accord, mais pas si on ne lit qu'un livre par an! Cela remet en perspective le principe même de la lecture. Imaginez: Monsieur X. ne lit qu'un seul livre pas an, disons le dernier Nothomb, or voici que le journal de 20h lui conseille d'acheter le livre d'Antoine Boute paru aux éditions du Petit-Matin qui, coup de bol, vient de recevoir le prix Courgont. Monsieur X. achète le livre et là, bingo, il aime. Ouf. Mais s'il n'aime pas? S'il est dérouté? S'il a l'impression de vivre un échec (qu'il ne peut décemment supporter)? S'il a le sentiment de s'être… trompé! Oh mais alors Monsieur X se dira peut-être que c'est le journal de 20h et le bandeau rouge du prix qui l'ont trompé et acculé à un échec. Du coup, vexé, il n'écoutera plus la télé, se fichera des rectangles cramoisis et surtout arrêtera définitivement de lire. Il boudera la littérature. Na!
Vous avez un début de migraine? Ça tombe bien, moi aussi. Vous voyez, dès qu'on parle rentrée littéraire, on s'égare, on dit n'importe quoi. On ne sait plus où on en est. On se trompe! On vit l'échec! Allez concluons: il n'est pas nécessairement tragique de se tromper de livre. C'est peut-être même le principe actif de la démarche qu'est la lecture. Vous entrez dans un livre qui est censé raconter un adultère de province et paf! vous avez droit à une leçon perverse sur l'usage de l'imparfait – merci Flaubert! Un livre n'a pas pour but express de "tromper" son lecteur, faut-il le rappeler. Un livre a pour but (incidentally) de "créer" son lecteur. La lecture peut être échec, le lecteur peut achopper, il peut mal lire, lire de travers, lire à côté, etc. Et pour cause: il n'est pas encore lecteur, il suit une formation, un apprentissage, il expérimente un devenir-lecteur, à chaque fois différent.
Alors, prions pour que des milliers de lecteurs se trompent, et tombent par mégarde dans "autre chose" que la sousoupe du gentil roman bourgeois. Que mille lecteurs échouent ! Qu'ils échouent mieux, surtout.

jeudi 1 septembre 2011

Les renardes de Montauban

Une librairie qui rouvre (anciennement Le Scribe), et dont j'ai l'honneur, avec Mathias Enard, d'être le parrain – être parrain d'une librairie, ça veut dire quoi? Aucune idée, mais on compte bien sur Caroline Berthelot et Nadège Loublier pour nous concocter quelques séances de sympathique torture au sein de La Femme Renard (Librairie La femme renard, 115 faubourg Lacapelle, 82000 Montauban -Tél : 05 63 63 01 83; Fax : 05 63 91 20 08; De 9h à 19h sans interruption du mardi au samedi; librairie@lafemmerenard.fr). En attendant d'autres infos (rencontres, signatures, etc), voici le topo, d'après Livres Hebdo:

"Une page se tourne à Montauban. Samedi 16 juillet, Le Scribe a définitivement baissé son rideau pour rouvrir ses portes le 20 août sous une nouvelle enseigne, La Femme renard ,et sous la houlette de deux libraires expérimentées, venues tout droit du Brouillon de culture à Caen où elles ont officié plus de dix ans.

Un nouveau visage pour la librairie

Caroline Berthelot et Nadège Loublier profitent de l’été pour donner un coup de jeune à la librairie-galerie d’art, fondée il y a 30 ans et dirigée depuis une quinzaine d’années par Jacques Griffault. Du sol au plafond en passant par les éclairages, tout le rez-de-chaussée, ainsi que l’enseigne, seront entièrement remodelés. L’étage, qui sert de lieu d’exposition et d’animation, échappe pour le moment aux travaux.

Un développement dans la continuité

Les deux libraires souhaitent « aérer et épurer l’espace », tout en étoffant l’offre du Scribe pour la rendre « davantage généraliste. » Le stock actuel ne sera donc repris que partiellement. Toutefois, l’axe littéraire, mis en place par Jacques Griffault et nourri notamment par les multiples rencontres et salons qu’il animait, reste dominant.

« Nous nous inscrivons dans la continuité du travail effectué au Scribe par Jacques Griffault, qui a su insuffler une âme à cette librairie et lui donner une renommée nationale, tout en modernisant l’image et l’offre pour l’adapter aux attentes de la clientèle », explique Caroline Berthelot.

La librairie, qui occupe 240 m² dans une rue commerçante, enregistre depuis 2008 une érosion de son chiffre d’affaires, 295 000 euros au 31 mars 2011, et des résultats déficitaires. Pour la première année, les deux libraires ont prévu un CA identique, puis une progression de l’ordre de 12% sur les exercices suivants pour atteindre à terme, les 360 000 euros.

Au total, elles ont investi 236 000 euros, dont 72 000 euros pour l’achat du fonds de commerce, 85 000 euros pour l’achat du stock total, le reste étant dédié aux travaux et aux frais divers. Elles bénéficient d’une aide de l’Adelc, 20 000 euros en capital et compte courant ; de la Drac, 22 000 euros ; de la région Aquitaine pour 2 000 euros et de divers prêts à taux zéro pour 24 000 euros. Une demande de subvention pour la constitution du premier stock, 15 000 euros, et de prêt à taux zéro au titre de la reprise, 25 000 euros, est en cours au CNL."

Source : Livres Hebdo

Élire et lire

A lire la presse littéraire, voire les blogs préoccupés de parutions, on sent souvent qu'en plus du sacro-saint devoir de raconter "de quoi" parle le livre en question se profile une ambition tout autre, mâtinée d'une forme d'excitation un peu louche. On pourrait, exemples à l'appui et statistiques en poche, dégager de ces nobles remous un principe, ou plutôt un symptôme: le symptôme de Magellan. A savoir : le désir d'être celui qui, le premier, découvre (et annonce, claironne) le livre-événement. Flairer le Littell nouveau, l'opuscule hors norme ou le pavé marginal.

Dès le début, on le sait, comme dans toute manifestation hippique qui se respecte, un peloton de tête se dégage. Des indices sont semés, par les éditeurs, afin de désigner les quelques ouvrages qui feront (à défaut d'être) événements. On trouve toujours dans cette brigade les mêmes icônes: le livre hénaurme, le livre scandaleux, le livre léger mais si fruité que c'en est un plaisir, le livre improbable, le livre poème, le livre qui tache, le livre qui parle d'une star mais en fait d'autre chose, le livre plus facile d'un auteur difficile, etc. Ces catégories, bien entendu, n'entachent en rien la qualité desdits livres. Mais elles permettent à l'académie des renifleurs de faire leur marché plus aisément. Les dénigrer serait un peu vain, cela va de soi. Dans un contexte où la chose écrite ne peut presque plus compter que sur son emballage et l'inventivité du marketing, c'est, comme on dit, de bonne guerre. Dans quelques années, peut-être verra-t-on ressortir un roman Beckett accompagné du bandeau suivant : "Par le Nobel qui a vendu 50 ex de son premier livre!!!!". Mouais.
Non, ce qui embarrasse légèrement dans la fabrication de l'officieux palmarès, c'est plutôt l'absence des éditeurs modestes et/ou discrets (on n'en laisse en général passer qu'un ou deux, histoire d'avoir un cas d'école à se mettre sous la plume). Certes, les critiques ont un programme de lecture excessivement chargé. Et sans doute les éditeurs les moins fortunés n'ont-ils pas les moyens d'arroser le milieu avec ces fameux services de presse qui permettent le décryptage avant abattage – la réalité étant que le gros éditeur pratique un service de presse dont le chiffre équivaut parfois au tirage ou la mise en place du petit éditeur. Lequel petit éditeur n'a souvent d'autre attaché de presse que sa propre personne déjà divisée en quatre ou cinq fonctions éditoriales. Tout ça est connu, proche de la porte ouverte et enfoncée. Mais le défi n'en est que plus crucial: comment solliciter l'intérêt des critiques sans moyens logistiques adéquats? Bon, il y a l'envoi des extraits, voire du texte entier par pdf. Dans un monde idéal et passablement numérique, où tout critique aurait sa liseuse, cela devrait et pourrait suffire.
Et si le mal était plus profond, et que ce qui faisait vraiment la différence c'était justement la puissance logistique, les armes de la conviction plutôt que la conviction elle-même. Si c'était le pilonnage qui fascine, plus que la charge que ce pilonnage préfigure à court terme? La force de frappe plus que la nature de la poudre? Imaginez Jenni publié par les Petits Matins et Juan Francisco Ferré par Grasset. Mais à quoi bon s'attaquer au darwinisme éditorial… Non pas les plus forts mais les plus prompts à s'adapter?
On pourrait imaginer des aides du CNL particulières, visant non pas seulement à financer la fabrication d'un livre, mais à épauler sa diffusion, les envois à la presse, les encarts, le coût d'un/e attaché/e, etc. Ça ne ferait sans doute guère de différence. Face à un passage télé, des affiches, un matraquage radiophonique, le combat est rude. Compter sur les médias pour contracter d'eux-même, un jour, le syndrome de David? Rêver que l'ombre de Goliath cessera d'impressionner les fabricants de frondes?
Mais ces propos sont sûrement déplacés. Tout le monde a entendu parler des livres de Werner Kofler publiés par les éditions Absalon. Au fait, le dernier roman de Simon Libéramachin, il sort chez qui déjà? Bonne rentrée!