jeudi 27 janvier 2011

Céline, Fanon, Gollnisch: cherchez l'intrus


Céline plébiscité puis répudié par le ministère de la Culture + la prise de position de Serge Klarsfeld: tout ça devait finir par intéresser le Front National. Evidemment, c'est Gollnisch qui s'y colle en ce jeudi 27 janvier, enfin c'est du moins ce qu'on suppose si l'on en croit un tweet émanant de son compte, lequel tweet renvoie à un article mis en ligne sur son site gollnisch.com, mais ô surprise le site de Bruno semble actuellement inaccessible (Error establishing a database connection). Mais bon, il n'est pas sûr que l'article en question ait trait à la récente polémique. Après tout, on sait juste qu'il évoque Frantz Fanon, un auteur dont le nom figure sur la liste des écrivains retenus pour être célébrés cette année. C'est sans doute un hasard. En tout cas, faute de pouvoir lire l'article en question, on notera la finesse du titre de l'article en question, titre on suppose ironique: "Frantz Fanon über alles". Ce n'est sans doute qu'un "détail", mais qu'est-ce qu'il pue.

Hemingway et Castro donnent leur point de vue…





















"Un homme doit s'en prendre plein la gueule pour écrire un livre drôle." (Hemingway)

"Sans le pouvoir, les idéaux ne peuvent être réalisés ; avec le pouvoir, ils survivent rarement." (Fidel Castro)



Voilà, comme ça les choses sont dites.

mercredi 26 janvier 2011

Nœud de VIPères


On s'y perd. On examine, on dissèque, on fouille, on compare. La vase, à peine troublée, n'en est que plus trouble. Une éclipse vient en dissimuler une autre. C'est obscur, pâteux, et possiblement sournois. S'y prend-on mal? Souffre-t-on d'une fâcheuse berlue? Rien n'y fait, tout se brouille. Et l'on ne comprend pas, non, on ne comprend toujours pas pourquoi Patrick Poivre d'Arvor accuse Hemingway d'avoir manigancé avec le sosie de Jean Jardin pour empêcher Louis-Ferdinand Céline d'écrire une pièce de théâtre mettant en scène la canonisation de Régis Jauffret par une prostituée italienne, de surcroît mineure, et ce à l'insu du nègre de Stéphane Hessel. J'ose croire que cette sombre histoire est sans lien aucun avec le piratage de la page Facebook de Sarkozy.

mardi 25 janvier 2011

La main droite du diable




































Une question mystérieuse reste sans réponse, pourtant: Pourquoi diable Michael Jackson kiffait-il les dessins de Marcel Marlier? On ne le saura jamais. En revanche, on peut se demander où est et ce que fait la main droite de Martine. Tout est dans tout, même l'innocence.

Ces chers disparus…



Des diverses manières de brûler son père

Un homme d'une trentaine d'années a tué son père le week-end dernier et a brûlé son corps dans la cheminée de leur maison d'Orleix, près de Tarbes, dans le sud-ouest de la France, a-t-on appris mardi de source proche de l'enquête. © AFP

Un homme d'une trentaine d'années a tué son père et a brûlé le corps dans la cheminée de leur maison à Orleix. (La Dépêche)

Il découpe son père et fait brûler le corps. (La Semaine des Pyrénées - manchette)

Il a déclaré avoir découpé puis jeté dans le feu de cheminée, le corps de son père. (La Semaine des Pyrénées - article)

Un fils aurait d’abord tué son propre père avant de le faire bruler dans la cheminée. (Toulouse 7)

Il tue son père, puis le brûle dans la cheminée. (Métro)

Il tue son papa, et le brûle. (Le Post)

Il tue son père, le découpe et le brûle dans la cheminée. (Le Post, encore)

Il avait tenté de le découper en morceaux, avant de le faire brûler dans la cheminée de la maison. (La Semaine des Pyrénées, selon Le Post)

Tué par son fils en France, il termine calciné dans la cheminée. (Bluewin)

Un fils a liquidé son père avant de se débarrasser de lui en lui boutant le feu dans la cheminée, en France. (20 Minutes)

Luke se recueille devant le bûcher où brûle son père mort, selon la tradition Jedi. (Star Wars)

Pas n'importe quel Quidam


Si les éditions Quidam ne nous avaient fait découvrir que B.S. Johnson et Reinhard Jirgl, nous serions déjà comblés. Mais le catalogue Quidam, piloté par Pascal Arnaud, ne se borne pas à ces deux monstres païens. Quelques noms: Kate Braverman, Ron Butlin, Marie Frering, Jérôme Lafargue… Quelques titres: Un plat de sang andalou, Zones sensibles, Liquide, La persistance du froid… Comme ceux des éditions Tristram, des Allusifs, de L'Arbre Vengeur (et de quelques autres), les livres publiés par Quidam sont de ceux qu'on peut quasiment acheter les yeux fermés, ces derniers n'en seront que davantage décillés une fois la lecture commencée.

Mais aujourd'hui, Quidam rame. Des problèmes de trésorerie, qui menacent les parutions des mois à venir. C'est, espérons-le, passager. Ça le sera d'autant plus si l'on répond à la souscription que lance Quidam, ce qui devrait lui permettre de ne pas se retrouver en cessation de paiement.

Cette souscription est de 100 € pour l’achat de 5 titres sur tout le catalogue (nouveautés incluses jusqu’en mai 2011), franco de port. Et si, bien sûr, vous souhaitez porter votre soutien au-delà, c’est possible : 150 € pour 8 titres ; 200 € pour 12 ; 250 € pour 16 ; 300 € pour 25 ; 600 € pour l’intégralité du catalogue.

Voilà. L'inestimable a un prix. Long live Quidam!

Vous avez l'adresse (Quidam éditeur – 1, rue Mansart 92190 Meudon), vous possédez le catalogue en pdf, vous avez un chéquier, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

lundi 24 janvier 2011

Quand le 20 est tiré…


Voilà, le numéro 20 de la revue Inculte vient de paraître. C'est le dernier, parce qu'après on a décidé que "same thing but different"… Pour l’occasion, le tirage de ce dernier numéro a été imprimé sous vingt couvertures différentes. Il y est question d'alcool, entre autres choses, parce que, comme l'a dit Renan, "l'ivresse est la seule forme sous laquelle les hommes sans culture peuvent concevoir l'idéal". Voici donc la carte du vingt:

Sommaire
entretien
Hubert Selby Jr.

dossier : l’alcool
Notre sélection, par Maylis de Kerangal
La même chose, par Claro
De l’éthylisme en éthique, par Véronique Decaix
L’agave, par Patrick Deville
Yeux secs, gorge, par Benjamin Dromard
Michel Daerden, une figure..., par Mathieu Larnaudie
La dinde au whisky, Anonyme
Bien arrosée, par Arno Bertina
Grise, par Maylis de Kerangal
Loin, par Alban Lefranc
Note sur la naissance de la femme indécise, par Mathieu Larnaudie
Dialogues de saouls, par Guillaume Carreno et Johan Faerber
Éloge du rosé, par Mathias Énard

interventions
2004/1980, par Oliver Rohe
Archipel des parades, par Mathieu Larnaudie
Debout parmi les ruines, par Xavier Boissel
Godard, le Mâle et son cigare, par Gwenaëlle Stubbe
Love, etc., par Hortense Gauthier
Véloportrait en héros, par Thomas Corpet d’Orbigny
La Bible de l’avant-garde, par Jean-Noël Orengo
L’occupation des signes, par Johan Faerber
Du corps (&) de l’écrit (3), par Louise Desbrusses


Dynamique de l'échec: un Adams sans paradis


Il y a quelque chose de proustien dans L'Éducation de Henry Adams. Tout commence en effet par un mouvement oscillatoire entre deux pôles, un Méséglise et un Guermantes américains qui sont, dans la géographie d'Adams, campagne et ville, été et hiver, liberté et loi, Quincy et Boston. L'opposition, on le comprend très vite, se répercute à d'autres degrés, et le jeune Henry se pose alors la question en termes non plus géographiques mais temporels: "Qu'allait-il advenir de cet enfant du XVIIè et du XVIIIè siècle quand il s'aviserait qu'il était mis en demeure de jouer le jeu du XIXè siècle?" Ce passage, Adams ne l'a pas souhaité, mais n'y a pas résisté non plus outre mesure. Et tout au long de ses mémoires, il se pose le problème de l'éducation, de façon systématique, quasi obsessionnelle, non seulement afin de ne pas déroger de son projet d'écriture – dire s'il fut éduqué et comment – mais également pour souligner à quel point toute éducation est une farce. Est-ce parce qu'il est lui-même, de son propre aveu, assez médiocre, et assez honnête pour en convenir?
Adams appartient à une famille illustre, mais il sait déjà qu'aucun Plutarque ne sera plus jamais impressionné par les nouveaux rejetons. Il sait aussi, d'instinct, que la phrase "ce qui avait été continuerait d'être" est en train de perdre son sens. Le sens est perdu, d'emblée. Et Adams n'aura de cesse de prouver que le savoir acquis l'est bien mal, et sans raison, et si peu. Tout se passe alors comme si le jeune Henry pressentait que le dix-neuvième siècle était une machine à brouiller les codes. Le marxisme et le darwinisme, loin de débroussailler les perspectives, rendent encore plus confus le tracé possible auquel était voué un homme supposé honnête. Qui est-il? Le fruit d'un arbre? Mais la famille est selon plus une atmosphère qu'une influence. Et Adams déteste l'école, où il se sait ne pouvoir exceller.
Avec une mauvaise foi assez attachante, il va donc évoluer dans la médiocrité intellectuelle pour n'en déduire qu'un fait: l'époque peine à relancer la donne éducative, elle n'arrive pas à se montrer aussi innovante que la dynamo. Harvard? N'en parlons pas. Il n'y apprendra rien. Faire son droit? Pourquoi pas? Il file à Berlin, où la bière est mauvaise et la choucroute abrutissante. Enseigner l'histoire? Pourquoi pas, mais à condition de mettre en scène l'ignorance. Faut-il épouser la mouvance darwiniste? Sûrement, mais pour la comprendre il faudrait d'abord réussir à pêcher des fossiles, prouver à tous les stades qu'il y a eu évolution, adaptation. Ayant trouvé les églises un peu trop vides, Henry Adams constate que les Expositions universelles sont trop pleines. Le savoir y grouille sans discernement. Et pourtant, il le sent, la dynamo a détrôné la vierge. Mais le grand mystère reste entier: quelles forces président au monde? Comment comprendre le mouvement de l'histoire si l'on bute devant le mode d'emploi d'une simple turbine? Plus personne n'entend rien à l'art des vitraux et fort peu parviennent à démêler le sens de l'électricité. La confusion règne, et voilà qu'en plus surgit la notion d'entropie (merci Gibbs!).
L'Education de Henry Adams est un livre étonnant, qui commence à la façon d'un récit de Fielding, se voltairise par moments pour finir dans une brume philosophique digne d'un président Schreber. On y voit aussi le jeune Henry, Candide pas si candide, reprocher au monde entier sa propre médiocrité, avant de perdre volontairement son temps en études stériles, comme s'il fallait prouver l'échec de l'éducation par l'absence téléologique des savoirs nouveaux. Alors, sur la fin, Adams se jette corps et âme dans la quête du relatif, ayant fait son deuil de l'absolu. Il interroge le chaos, qu'il passerait à tabac s'il en avait la force. Mais la "réaction de l'esprit envers la masse de la nature ne semblait pas plus grande que celle d'une comète envers le soleil" ! "La pensée elle-même était un tourment; elle souffrait mal et avec douleur et révolte la violence que lui faisait la méthode nouvelle"… Adams pense avoir découvert, enfin, la "formule dynamique de l'histoire". Mais il est trop tard pour que ladite formule lui ouvre les portes de l'opéra magique qu'est le XXè siècle débutant. Adams sent bien qu'il ne verra pas naître de son vivant l'homme nouveau, fils des énergies nouvelles et de leur friction avec les anciens. Mort en 1918, il dut pourtant en avoir un aperçu assez cinglant par les journaux qu'il lisait depuis son lit de souffrance.
Ayant su très tôt qu'il ne serait pas président des Etats-Unis comme deux de ses ancêtres, ne parvenant pas à discerner clairement le progrès dans le magma de l'histoire, désorienté par les contradictions du darwinisme, mal à l'aise face au marxisme naissant, n'ayant rien à prouver sinon l'absence d'excellence, Henry Adams, en orphelin de l'absolu, demeure touchant, par son obstination à vivre dans la pénombre du savoir, les limbes de la connaissance. Imbu de sa banalité, il ne peut s'empêcher de briller par une certaine sagesse et de pétiller par une étrange folie. Mais ce qui ne fait aucun doute, c'est qu'il perçut, avec une acuité incroyable, le rôle qu'allaient jouer, dans toutes les disciplines, la compréhension et la maîtrise de l'énergie physique, la loi de l'accélération, le spectre de l'inertie. Indigné par l'inertie qui présidait à son éducation, il se jeta dans les bras de l'entropie. Mais l'on est passé de l'Un au Multiple sans solution de continuité, constate Adams sur le tard, qui, tel Proust, avait pourtant découvert son "petit pan de mur jaune", d'où le chassa la vie:
"Tout ce qui se tramait autour de lui pour compliquer son apprentissage, il l'ignorait, jusqu'à ce que la couleur jaune parvînt à sa connaissance; il se découvrit un beau jour assis sur un plancher de cuisine, sur un plancher jaune inondé de soleil; il avait trois ans lorsqu'il fit cette toute première acquisition, qui était une leçon de couleur."
Tous les maux de l'homme, semble-t-il, viennent de ce qu'il doit apprendre, tôt ou tard, à débarrasser le plancher. Et c'est à peu près tout ce que feignit d'avoir compris Henry Adams au terme de quatre-vingt années d'éducation impossible.
___________________
L'Éducation de Henry Adams, présentation et notices de Pierre-Yves Pétillon, traduction de Régis Michaud et Franck L. Schoell, éditions de l'Imprimerie Nationale, 2007

vendredi 21 janvier 2011

Immense soulagement né d'une impéritie prévisible


Nous étions sur le point de désespérer
à deux doigts de renoncer
aux plaisirs mondains et
aux frasques de l'esprit,
lorsque soudain,
au détour d'un site,
nous tombâmes sur l'information suivante,
qui redonna vie aux tristes parcelles
de notre déshérence :

"Le 20 décembre, nous lancions un test : user un SSD. Nous avons choisi un modèle doté d'un contrôleur Indilinx et de mémoire en 4x nm d'origine Samsung, donnée pour 10 000 écritures. Le SSD de 128 Go avait été utilisé depuis environ 18 mois dans un ordinateur portable comme disque système et l'usure moyenne était de 1 761 cycles.

Pour l'user, nous avons donc décidé d'écrire (en boucle) sur le SSD, depuis un Velociraptor. En pratique, il est possible d'écrire environ 5 To par jour, alors que la moyenne d'un utilisateur est entre 2,5 et 9 Go selon Toshiba. Nous sommes actuellement à un peu plus de 125 To écrits sur le SSD et l'usure moyenne reportée par le SMART est de 3 089 cycles, avec au moins une cellule à 3 751 cycles. La différence entre la cellule la plus usée et l'usure moyenne diminue : elle était de 1 754 cycles au départ et elle est de « seulement » de 662 cycles actuellement.
Le point intéressant, c'est que si notre SSD était gravé en 25 nm, comme les modèles prévus pour 2011, il serait a priori mort. En effet, les puces de mémoire MLC en 25 nm ont une durée de vie de 3 000 écritures environ. En pratique, nous avons dû écrire 125 To pour faire environ 1 300 cycles sur notre SSD de 128 Go, ce qui est peu concevable sur un SSD placé dans une machine de bureau. Pour les entreprises, qui ont des besoins différents, des modèles en mémoire SLC (environ 100 000 cycles) ou en eMLC (environ 30 000 cycles) existent.

Notons un point : le SSD était à 1 700 cycles de moyenne au moment du lancement de nos tests, et il était utilisé depuis environ 18 mois dans un ordinateur portable qui servait à la rédaction. La machine ne prenait pas en charge le TRIM et aucune «optimisation » n'avait été effectuée : pas de déplacement du fichier d'échange, des fichiers caches, etc. La machine servait pour du téléchargement de vidéos et était utilisée plus de 10 heures par jour. Les personnes qui pensent donc qu'un SSD est fragile et qu'il faut en prendre « soin » en limitant les écritures en seront pour leurs frais : un SSD reste résistant dans le temps, et la garantie proposée par les fabricants le prouve.

Accessoirement, il faut bien prendre en compte un point : l'évolution du marché de la mémoire flash est assez rapide que pour qu'un appareil perde 90 % de sa valeur en quelques années. Un SSD de 32 Go capable d'atteindre 100 Mo/s en lecture valait 500 € environ en mars 2008. Un peu moins de 3 ans plus tard, une clé USB 3.0 de 32 Go, capable d'atteindre 130 Mo/s, vaut moins de 50 €. CQFD."
C'est tout Billancourt qui est racheté, ma foi.

jeudi 20 janvier 2011

Céline célébré, mais Céline honni


Ça a commencé comme ça… et ça n'est pas près d'être fini. Le Ministère de la Culture ayant bûché sur le calendrier des célébrations à venir, un nom s'est imposé assez vite, celui de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline. Et ce nom, bien sûr, en hérisse certains. Bertrand Delanoë déclare sans ambages au Parisien que Céline était "un parfait salaud", et Serge Klasfeld s'indigne qu'on honore sa mémoire. Bon, évidemment, si on a lu les pamphlets de Céline (ce qui n'est pas facile vu qu'ils n'ont jamais été réédités) et potassé ses biographies, on n'en est plus à se demander s'il a collaboré ou pas, s'il était vraiment antisémite, etc. La question que pose cette éventuelle célébration n'est donc pas de savoir si Céline était antisémite ou pas (il l'était) ni s'il est ou non un grand écrivain national (il l'est). La question est plutôt de savoir quels sont les critères à remplir pour être digne d'être célébré par un État. Il est difficile de s'en faire une idée précise, même en passant un certain temps sur le site des archives de France qui exposent les réjouissances à venir.

Il serait bon à ce propos d'étudier de près les autres écrivains retenus dans la rubrique "littérature et sciences humaines". On trouve, entre autres, Blaise Cendrars, Jean Cayrol, Hervé Bazin, Nicolas Boileau, Théophile Gautier. Parfait. Mais bon, n'a-t-il pas été question il y a quelque temps d'un pamphlet écrit (mais jamais publié) par Cendrars, intitulé “Le bonheur de vivre”, datant de l’été 1936 et destiné à la collection “la France aux Français”, pamphlet qui, d'après ceux qui ont pu le lire, professe un mépris égal pour les ouvriers et les juifs? Bazin? Il y a bien cette histoire de "prix Lénine", il faudrait aller voir de plus près, mais là c'est chipoter, sûrement. Boileau. Ah, non, Boileau, ça passe sans problème. On a le droit d'être historiographe du roi, surtout si c'est hyper bien payé, moralement ça ne devrait pas poser de problème., le roi est mort, vive le roi. Gautier? Certes, il tient dans son récit de voyage intitulé Constantinople des propos sur les Juifs qui ne sont pas du meilleur goût, mais qui lit encore Constantinople de nos jours? Les Turcs?

Mon Dieu, qu'il est délicat d'établir un soigneux barème. Ces écrivains, décidément… Comment s'y retrouver, entre leurs actes, connus ou non, leurs écrits, publiés ou pas, privés ou publics, leurs déclarations, publiques ou privées, et leurs pensées, secrètes ou avouées? Faut-il instaurer une commission, une sorte de tribunal moral (ou politique) capable de repérer les resquilleurs? Car tous ne sont pas aussi infâmes que Céline dans l'expression. Il y a sûrement des sournois. Des qui cachent leur jeu.

Finalement, ce qui pose problème, ce n'est peut-être pas tant Céline le salaud que le principe même de la célébration, rituel qui cherche à établir un calendrier des saints laïques, un éphéméride mêlant talent et moralité (citoyenneté?), et susceptible de dire quelque chose de la grandeur nationale au prisme de ses lettres. Car franchement, comment établir des rapports d'harmonie entre 1/ une politique culturelle qui bien souvent méprise la culture vivante, 2/ ce fantasme de célébration qui présuppose un parcours historique un tant soit peu irréprochable et 3/ des écrivains dont le talent ne saurait se mesurer à l'aune de la probité?
Se penchant sur le catalogue qui retrace 25 ans de célébrations nationales, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, écrit très joliment ceci:

À leur service et pour leur rendre hommage, les plumes les plus prestigieuses ont réécrit au fil de ces trois cents pages une histoire de France propre à charmer nos imaginations et nos esprits contemporains, propre à flatter, stimuler ou interroger les héritiers que nous sommes, de nature enfin à inventer ce que pourraient être nos lendemains.
Et sans doute faut-il y lire, en filigrane, un élément de réponse. "Charmer nos imaginations"… ah, que ces mots sont doux à l'oreille. Charmer, flatter, stimuler… Il est vrai que Céline ne charme pas vraiment nos imaginations, en tout cas pas dans Bagatelles pour un massacre, même si ses haines en disent plus long sur l'histoire de France qu'un quatrain d'Eluard, et ce sans le moindre prestige. Pourtant, il parvient sur le podium final. La raison? C'est simple, et c'est écrit en avant-propos à ce palmarès:

"Les auteurs ont retenu ce qui, selon les modes d’appréciation qui se sont relayés ou qui se sont empilés, méritait d’être célébré et dont la mémoire devait être revivifiée."
Bon, personnellement, voilà une phrase que je n'aimerais pas avoir à commenter au bac de philo… Cette histoire de relais et d'empilement n'est pas très claire. Serait-ce du marxisme déguisé? Quelque éloge obscur de la réhabilitation? Sûrement pas une citation de Céline, ça c'est sûr. The plot thickens, comme on dit. Y aurait-il, derrière cette boulimie de lauriers posthumes, une envie de se faire pardonner? Du style: nous vous avons manqué d'égards, nous ne vous oublions pas malgré les apparences – ou plus simplement: on a vérifié, c'est votre année, de naissance, de mort, de parution, peu importe, mais votre tour est venu. Elève Céline, en dépit de vos blâmes, vous pouvez concourir au tableau d'honneur.

Célébrer des écrivains célèbres peut sembler prudent. Sauf quand le soufre participe de l'éclat. Alors là se complique. On est en terrain miné, c'est le débat œuvre/vie. Talent/moralité. Mais hélas il n'existe pas de jubilé à deux vitesses. On ne peut pas donner une couronne et refuser un sceptre. Serrer la main et cracher à la gueule. On n'est plus au temps de Jdanov, non plus. Bref, que faire, comme disait l'autre, quand les lauriers sont cueillis?

En attendant (mais quoi?), on pourra toujours célébrer, distantes entre elles de quatre cents ans, les parutions de l'Eloge de la Folie d'Erasme (1511) et de l'Histoire de la folie à l'âge classique de Foucault (1961). Une façon comme une autre d'agiter le bocal…
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Note: A ceux qui s'interrogent sur la complexité politique de Céline et les sources de son antisémitisme, je renvoie à l'excellente étude d'Yves Pagès, Les Fictions du politique, coll. Tel, éd. Gallimard.

mardi 18 janvier 2011

Bergounioux, incarné dans ses notes?


Les Carnets de notes de Pierre Bergounioux me laissent pantois. Mille pages de météo aquarellisée, de maux divers et avariés, de lectures minéralo-entomologiques, d'arides trajets en RER, de Noëls obligatoires, de santés déclinantes et déclinées, de papillons percés, d'aubes pâles, de nuages fuligineux, d'enfants fiévreux ou turbulents ou insuffisamment studieux en latin, de pages écrites mot à mot dans l'arrachée des lignes, d'affects pénombreux, de proches amoindris, de scarabées cueillis aux noms inéluctablement subtils, de cours donnés dans l'anéantissement et la fatigue, de désolation devant la page, d'infirmité devant l'acte, d'abnégation devant la joie. Certes, tout ça est ciselé, mais ô combien écrit depuis un siècle où le jabot tenait lieu de glotte. Nulle complaisance si ce n'est celle de la plume comprenant la petite douleur du volatile à laquelle elle fut naguère arrachée. Actes des actes ténus, traces du temps qui (faute de mieux, de pire) passe, les pages racontent la pénibilité de lire (des livres achetés à la Fnac), quand tout, dans le quotidien, semble conspirer à fermer la perspective. Comme écrit par un vivant qui se sait ou se croit mort au monde, à l'écart du sensuel comme d'un trou où ne jamais tomber, encloisonné dans une écriture pétrie du passage obsessionnel des saisons, ces carnets où enregistrer le quotidien succombent à leur modeste défi: dire le jour, sa fragmentation en déplacements, retours, fuites impossibles. Et puis ce goût naphtaliné pour la sensation pesée, cet artifice sucé du mot picoré, cette aventure de la langue bornée aux trébuchements du dactylogramme — quel sous-martyrat souhaité et ouvragé est-il, là, voulu? Combien manquent les pépites de réflexion, qui, sans doute, seraient trop luisantes pour le lecteur tétanisé. Ennemi de l'opinion, de l'avis, confit dans un ressenti qu'il craint friable, Bergounioux, qui sait pourtant décrire un char russe comme s'il l'avait craché du cerveau du temps, ou narrer le cockpit d'un B-17G comme s'il était la vibration de l'air mortel même, semble confondre la sincère litanie des faits épuisés et épuisants avec leur ombre portée sur le calendrier du vain. S'est-il enduit assez de l'ennui des heures pour croire qu'écrire au jour le jour n'est qu'interdire au jouir de briller autrement que dans le trépas d'une phalène (si j'ose dire) ? On l'aimerait soudain débraillé, attablé avec Michon, devant une pinte de joie. Même funèbre.

Gros plant sur Joyau


Aujourd'hui, nous allons apprendre à traduire. Nous commencerons par la grande poésie millénariste, et pour ce fer [sic], nous partirons d'une livre de prose sollersienne, soustraite à Trésors d'amour, écurie Gallilmard:

« On vit donc à Venise, Minna et moi, à l'écart. On ne sort pas, on ne voit personne, l'eau, les livres, les oiseaux, les arbres, les bateaux, les cloches, le silence, la musique, on est d'accord sur tout ça. Jamais assez de temps encore, encore. Tard dans la nuit, une grande marche vers la gare maritime, et retour, quand tout dort. Je me lève tôt, soleil sur la gauche, et voilà du temps, encore, et encore du temps. On se tait beaucoup, preuve qu'on s'entend.
Les amoureux sont seuls au monde parce que le monde est fait pour eux et par eux. L'amour est cellulaire dans les tourbillons du hasard, et ces deux-là avaient une chance sur quelques milliards de se rencontrer à la même époque. Entre le français et l'italien, il y a une longue et bizarre histoire. Elle ne demande, avec Stendhal, qu'à s'approfondir.»


Toute traduction est, hélas 3 x, tradition. Ce qui nous donne, multiplié par un facteur de mauvaise mais bonne foi:

« On vit donc à Bagnolet, Minna et moi, à l'écart. On ne sort pas, on ne voit personne, les rues les bars, les supermarchés, les poubelles, les bus, les flics, le silence, la télé, on est d'accord sur tout ça. Jamais assez de temps encore, encore. Tard dans la nuit, une grande marche vers la gare du RER, et retour, quand tout dort. Je me lève tôt, calendrier PTT sur la gauche, et voilà du temps, encore, et encore du temps. On se tait beaucoup, preuve qu'on s'entend.
Les salariés sont seuls au monde parce que le monde est fait pour eux et par eux. Le salaire est cellulaire dans les tourbillons du hasard, et ces deux-là avaient une chance sur quelques milliards de se pacser à la même époque. Entre le franc et l'euro, il y a une longue et bizarre histoire. Elle ne demande, avec la vanité, qu'à s'approfondir. »

On n'est pas obligé de colorier tout de suite.

Recette


Aujourd'hui, nous allons apprendre à préparer un livre d'Alexandre Jardin. Pour ceux qui ont su préparer le libérati flambé ou le pancol glacé, ça devrait être de la tarte.

Ingrédients :

- 1/2 litre de contrition
- 1 pincée de révolte
- 2 ancêtres entiers
- 1/2 gousse d'histoire
- 1 cuillère à soupe de réflexionnite
- 100 g de cuistrerie
- 250 g de naïveté en poudre
- 50 g d'entregent (+ 50 g pour beurrer les moules [sic])

Préparation :

Faire bouillir l'indignation avec la famille et le contexte.

Pendant ce temps, mélanger la dignité, le succédané de style puis incorporer les données manquantes d'un seul coup, verser ensuite le problème bouillant.

Mélanger doucement afin d'obtenir une prose bien grumeleuse comme une prose ratée, laisser refroidir, puis ajouter une giclée de réprobation. Placer aux représentants une heure. Pas plus.

Préchauffer la presse (120 articles) avec le communiqué sur lequel cuiront les pages.

Verser la prose bien refroidie dans les journaux bien beurrés [sic], en ne les remplissant qu'à moitié; rapidement, disposer les livres sur les tables des librairies chaudes pendant trois mois, puis baisser les retours à 180 jours et continuer la promotion pendant 1 émission : le livre doit avoir une croûte jolie et un intérieur bien moelleux.

Démouler encore chaud.

Jeter.

Découverte

J'apprends aujourd'hui, par voie de presse, celle du journal Le Parisien, le seul organe capable de mollir au simple toucher, l'existence du

"syndrome de 'Munchausen par procuration'. Cette affection rare, qui touche d'ordinaire les mères, consiste, chez des êtres 'profondément déprimés' qui veulent faire reconnaître leur souffrance, à utiliser le corps de leur enfant, plutôt que le leur propre, pour attirer l'attention en leur faisant produire des symptômes psychiques ou physiques."

Et moi qui ignorais que ce fût un syndrome, et qu'il recouvrait ce que, très naïvement, je croyais être la conception démocratique de la gouvernance sarkozyste.

La surprise ? Partie…


En avril prochain, les éditions Grasset sortiront un livre de Frédéric Beigbeder, intitulé Premier bilan après apocalypse. L'éditeur s'est fendu (en deux?) d'une présentation du livre, sans doute afin que ledit ouvrage ne soit pas confondu avec l'opus où FB faisait les sous-titres pour la Fnac. Jusque-là, rien de remarquable, si ce n'est l'usage que fait le communiqué Grasset du terme "surprenant". Mais lisons donc le chouette communiqué en question:

"L’apocalypse, serait-ce donc l’édition numérique, ou comme dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, la température à laquelle le papier s’enflamme et se consume ?
Dans son Dernier inventaire avant liquidation, Frédéric Beigbeder commentait le choix de la FNAC. Désormais, dans cette arche de papier, il sauve au vingtième siècle tous les livres, pour être précis les 100 œuvres, qu’il souhaite conserver au vingt-et-unième siècle. C’est donc un choix totalement personnel, égotiste, joyeux, inattendu, parfois classique (Fitzgerald, Paul-Jean Toulet, Salinger et d’autres grands), souvent surprenant (Lolita Pille, Simon Libérati, Patrick Besson, Jay Mc Inerney, Bret Easton Ellis, Gabriel Matzneff, d’autres oiseaux de nuit, d’autres perturbateurs). Il est rare d’établir le panorama d’une littérature en train de se faire, de s’améliorer, de s’inventer. Avec ce livre-manifeste, c’est le Beigbeder livresque, joueur, lecteur, que nous découvrons, en même temps qu’une autobiographie en fragments." [© Éditions Grasset, 2011]


A priori, "surprenant" signifie: qui provoque la surprise. Mais ici, il a un sens différent. Forcément, puisque Lolita Pille publie chez Grasset et que c'est la lecture du roman de Beigbeder, 99 francs, qui l'a poussé à l'écrire; puisque Simon Libérati partage les capots de voiture enneigés avec FB et est même cité dans Un roman français, de FB ; puisque Patrick Besson est juré au prix Renaudot qu'a remporté FB; puisque Bret Easton Ellis est sans cesse comparé à FB par nos critiques avertis; puisque Matzneff est régulièrement encensé par son ami FB.

Donc, que signifie ici "surprenant"? Si effectivement il s'agit des livres dignes d'être "sauvés" du XXème siècle, c'est surprenant. Encore qu'un ou deux autres adjectifs, rimant avec pathétique, viendraient plutôt à l'esprit. Or c'est justement la fonction de cet "étonnant": couper l'herbe sous le pied, anticiper la suggestion d'un autre adjectif. Ce qui est surprenant ce n'est pas que Beigbeder place dans son panthéon littéraire des écrivains aussi monumentaux, c'est que cela surprenne. Vous suivez? "Surprenant", ici, est auto-référentiel. Un surprenant au carré, qui se suce la queue. Ça s'appelle, pour utiliser un terme un peu technique, de l'humour. C'est ironique. Parce que si ce n'est pas ironique, qu'est-ce que ça peut bien être? Mystère. C'est un peu comme cette expression "arche de papier", qu'on trouve dans le communiqué ainsi que sous la plume de Pierre Mérot, à qui FB a décerné le prix de Flore.

Bref, tout ça est surprenant. Nous sommes donc surpris. Alors que si c'était étonnant, nous serions juste étonnés. Notre félicité tient à si peu de choses, décidément.

Passez muscade

Contentons-nous de citer (1):

"L’écrivain et penseur Jean Dutourd s’est éteint lundi soir à l'âge de 91 ans à Paris. Académicien et chroniqueur satirique, il laissera une empreinte indélébile dans la littérature et la culture française." — Marie Desnos - Parismatch.com


Contentons-nous de citer (2):

"Les femmes ne couchent pas avec des hommes, mais avec des abstractions : le pouvoir, la renommée, l'argent, la mode..." — Jean Dutourd, extrait de Dutouriana

Bref, contentons-nous.

samedi 15 janvier 2011

Un peu de poésie dans un monde de brutes…


Le désir de baiser et l'espoir d'être indemne
Vers les bordels déserts ont érigé nos pas
Nous sommes un peu saouls et ces femmes qu'on aime
Sans trop savoir leurs noms ne messieront pas.

Ah ! Toute femme est bonne à qui n'a pas voulu
Malgré la solitude et qu'il bandât si fort
Au seul Autopalmaire dédier son rut ;
Beau songe d'idéal pur et chaud quand ça sort.

Faisons sucer nos queues et sans autres caresses
Essayons un bonheur quoique un peu passager
Sans craindre le réveil de la trop courte ivresse
Où nos reins lourds s'efforcent d'éjaculer ;

Oui c'est une putain mais au moins elle avale
Et par sa bouche au moins, moyennant une thune
L'amour agenouillé peut tailler une plume
A ceux dont l'Âme-Sœur se nomme Peau-de-Balle.

Regarde auprès de toi la cuvette si bonne
Et le beau linge neuf doux à s'en essayer
Quand viendra le moment où tu devras rincer
Ma suprême blancheur que l'amour abandonne,

Ecoute les glouglous de leurs bouches qui sucent,
Vois la conviction de leurs langues fidèles
Et, pèlerin pieux des antiques bordels
Jouis dans toutes ces putains - avant les Russes.

(Jean de TInan / Taverne Murger. 15 avril. 1h du matin; Félicien Rops, aquarelle)

Leçon d'histoire

Nicolas Sarkozy (à Ben Ali) : "J'ai pleinement confiance en votre volonté de continuer à élargir l'espace des libertés." (2007)

Michèle Alliot-Marie : "Le savoir-faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité, permette de régler des situations sécuritaires de ce type […] C'est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays [l'Algérie et la Tunisie] de permettre dans le cadre de nos coopérations d'agir pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l'assurance de la sécurité." (2011)

Ben Ali: " Il est de notre devoir de nous habituer à respecter les règles et les impératifs de la démocratie, et à accepter le verdict des urnes, par respect pour notre peuple."

L'Elysée: " "La France se tient aux côtés du peuple tunisien dans cette période décisive."

Le Parisien: "Les handballeurs français ont commencé leur Mondial par un succès sans frayeur (32-19) face à la Tunisie lors de leur premier match du tour préliminaire, vendredi à Kristianstad."

Hegel : "La grande ruse, c'est que les choses soient comme elles sont."




vendredi 14 janvier 2011

L'info, la vraie

"L'écolier américain de quatre ans qui avait apporté dans sa classe de paternelle plusieurs cailloux de crack d'une valeur estimée à 10 000 deurollars selon les autorités de Californie a été réinitialisé à la demande de ses iParents. L'opération a été diffusée sur la chaîne CNW. C'est la troisième fois cette année qu'un mineur essaie de faire passer du crack pour de la néococaïne officielle."

(extrait de Plonger les mains dans l'acide, éd. Inculte, à paraître début avril 2011)

L'hypothèse Egger


Eric Chevillard a dû être Darwin dans un avenir assez lointain, pour s'inquiéter ainsi du sort peu enviable de l'immanquable chaînon. Déjà, dans Sans l'orang-outan, il tentait d'imaginer un monde d'où ce noble primate aurait disparu, nous laissant face à une vacance, un long dérèglement des rouages privés de grain. Le voilà qui maintenant remonte les manches de l'hypothèse encore un peu plus haut et s'interroge, par le truchement d'un obscur mais têtu chercheur, Albert Moindre, sur l'absence plus que probable d'une éminence humain dont nous ignorions encore tout, et qui porte le nom somme tout obscur de Dino Egger. Passons sur le fait qu'anagrammatiquement ce dernier puisse s'apparenter à un ogre digne. Chevillard place la contrainte ailleurs. Et oblige la langue à supputer au-delà du raisonnable. Si Dino Egger avait existé, le monde ne serait pas celui que nous connaissons. Encore faut-il accomplir, en marge de l'histoire, le redoutable travail du négatif.
Roman du "si", Dino Egger est aussi une formidable machine à résister au romanesque, à s'en moquer. Que faire en effet d'un personnage qui n'a même pas eu l'heur d'accéder à un semblant de réalité, dont aucun géniteur n'a voulu, qu'aucune éducation n'a formé, qu'aucun ouvrage n'a consacré? Il faut donc faire chauffer les turbines de l'improbable, non pour qu'elles accouchent d'un marmouset vivable, d'un enfant perdu promis à d'évidentes épopées, mais pour les contraindre à broyer du vide comme d'autres du noir. Sans l'ami Dino, pas de récit, donc, partant, pas de livre – et pourtant, sous la plume de l'énergumène Moindre, l'inexisté pullule, adoptant tous les masques, exécutant toutes les grimaces. Le récit, lui, comme souvent chez Chevillard, se tord les mains, passablement moqué. Enfin presque. Car, de la page 65 à la page 87, il se passe quelque chose d'étrange. Un document est cité, le journal d'un inconnu dont Moindre suppose qu'il pourrait être l'évanescent Egger. C'est une narration des plus étranges, qui met en scène un narrateur porteur (et meneur) d'un projet encore plus énigmatique, auquel participent un certain nombre d'affidés. Qui sont-ils? Que font-ils? Qu'ourdent-ils? Ah ça, quand Chevillard touche au récit, ce n'est pas pour balzacifier. Des détails nous sont donnés, mais l'on serait bien en peine d'en défaire l'emballage ni d'en deviner le contenu en les secouant.
Cette réticence face au narratif, ici exhibée, mise en scène, sournoisement modulée, ne fait pourtant jamais de Chevillard un conteur nu ou un artisan aux mains rêches. Et c'est là sans doute ce qui fait et son mystère et sa grâce. Car, plus rimbaldien que Chevillard, on ne trouvera pas. Chez lui, le moindre doute se change en illumination, la moindre certitude est un harpon, nous sommes menés par un petit poucet rêveur qui aime à robinsonner – et ce qui de loin semble rictus se révèle souvent poignance (et si "poignance" n'existe pas, considérons le vide laissé par son absence). Certes, le parapluie ne se gêne pas pour titiller la machine à coudre, mais au prix d'une rigueur farfelue qui est la signature des inconscients retors. Ses phrases, articulées comme des lance-pierres, nous font parfois nous demander si, de caillou, nous ne serions pas devenu, sans nous en rendre compte, écureuil. Chtonk!
Où est le sujet? Où est l'objet? Relatant sans jamais fléchir les noces de la main et du gant, honorant la mémoire de la gifle aussi bien que celle de la doublure, Eric Chevillard s'aventure à chaque fois plus loin dans ce cercle dont le centre est nulle part et la circonférence partout, moins pour fabriquer une civière susceptible d'aider le vain à voyager encore quelques lieues, que pour nous coller le nez contre la vitre du lire. Re-chtonk, donc.

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Eric Chevillard, Dino Egger, éditions de Minuit, 14 €

jeudi 13 janvier 2011

Le vœu aux poudres


En janvier, c'est beaucoup connu, on souhaite. On file des vœux, aussi fragiles que des œufs, et aussi pas trop coûteux. Aux amis, aux proches, à les parents. A sa boulangère, aussi, parce qu'elle le mérite assez. Bref, on sacrifie dans la coutume. Il faut croire que l'esprit du sacrifice et l'amour de la coutume a également touché au président d'une partie de les Français puisque ce dernier, renseigné on n'ignore le comment, a découvert l'existentialité d'une sphère sociale très particulière qu'il – ou plus vraisemblablement un de ses chihuaha conseillers – a cru bonnard de dénommer "monde de la connaissance et de la culture". On ne sait trop ce que cet sous-ensemble flou regrouperât, mais il est limpide que les écrivains peuvent y contracter un strapontin. Bref, certains membres de ce sous-monde a donc réceptionné un seyant bristol les invitant à écouter Nicolas "On-se-demande-c'est-à-quoi-ça-leur-a-servi?" Sarkozy leur délivrer ses vœux.
Anne-Marie Garat, qui a reçu ledit bristol, a déjà répondu, à sa façon:

J'ai bien reçu l'invitation aux voeux de M. Sarkozy au monde de la connaissance et de la culture, le 19 janvier 2011, dont je vous remercie.
L'invitation d'un Président de la République est un honneur.
Je m'y serais rendue si M. Sarkozy ne dégradait la langue française, ne tenait en mépris la littérature, les arts en général et la culture, et si sa politique ne menaçait en tous domaines les principes de la République, d'égalité, de liberté et de fraternité.
Anne-Marie Garat
Ecrivain
François Bon, quant à lui, risque fort de répondre quelque chose de semblable (c'est sur son site qu'est donnée cette délicieuse information). On n'ira pas jusqu'à prononcer les termes de "désobéissance civile", mais la réponse d'Anne-Marie Garat est, comme on dit, "bien sentie". N'ayant pas reçu le mirifique carton, je ne pourrais, hélas, entendre l'adresse du Président au monde de la connaissance et de la culture. Je subodore néanmoins qu'elle sera chiadée et exempte de fautes. On en lira peut-être un compte rendu quelque part. On saura même qui s'y pâma, sans grande surprise. Et une fois de plus, on ne pourra que déplorer que les vœux ne soient pas adressés plutôt un 1er avril, ce qui en limiterait l'inénarrable force de frappe.

Scènes de la condition inhumaine


Paru en octobre dernier aux éditions Le Bruit du Temps, le livre de Julius Margolin, Voyage au pays des Ze-Ka, vient de loin, d'un cauchemar absurde, d'une vie interrompue, c'est le récit d'un homme qui voulut revoir son pays natal et fut pris dans les rets de la machine à broyer stalinienne. C'est un bloc de temps arraché, nié, cinq ans hors de la vie, en large de l'humain, des centaines d'heures volées à Julius Margolin alors qu'il se trouvait en Pologne en 1939, lui qui, juif de culture russe, avait élu domicile en Palestine. Arrêté par les Soviétiques, accusé "d'infraction à la loi sur les passeports", parce qu'il est en possession d'un passeport polonais et "qu'un passeport délivré par un Etat inexistant n'est pas un passeport", Margolin passe six semaines dans une geôle soviétique avant de monter dans un train pour un voyage au bout de la nuit, au "48ème Carré", au nord du lac Onéga. La cauchemar ne fait que commencer.
L'incompréhension, la peur, la faim, l'apprentissage de la servitude, les coups, la déprivation, les maux de toutes sortes, les travaux interminables, le froid – et quelque part dans cette déréliction imposée contre tout sens historique, une étincelle, la volonté de survivre, ou plutôt de ne pas mourir, de ne pas offrir sa mort aux consciencieux bourreaux. Margolin tient bon, tantôt parce que l'espoir semble possible, tantôt parce que l'heure de céder n'est pas venue. Avec Les récits de la Kolyma, de Verlam Chalamov (Verdier), ce Voyage au pays des Ze-Ka est un monument incontournable de ce qu'on appelle la littérature des camps, mais qu'on devrait sans doute appeler "la littérature contre les camps".
Ce qui frappe dans ce livre, comme c'était déjà le cas dans celui de Chalamov, c'est, malgré le processus de déshumanisation auquel est soumis le prisonnier politique, l'incroyable force de sa mémoire, sa capacité à restituer les moindres détails, dans leur intensité, leur matérialité, leur rôle, qu'il s'agisse du poids d'une gamelle ou du luxe d'un bout de chiffon, de l'odeur d'un bat-flanc ou de la couleur d'un regard. Loin de se replier sur soi, Margolin, que tout conspire à briser (il n'est même pas russe!), s'accroche. Il va même jusqu'à écrire trois livres, qui lui seront bien sûr confisqués, jetés sur un tas de fumier. Comme Chalamov, il veut croire que le jugement nuancé, la description exacte, l'analyse soutenu et un soupçon d'humour peuvent aider la conscience à surmonter cet apprentissage de la mort lente qu'est le goulag.
Traduit par Nina Berberova et Mina Journot, ce livre était paru aux éditions Calmann-Lévy en 1949 sous le titre La Condition inhumaine, grâce en partie à l'appui de Souvarine, mais dans une version tronquée. L'édition publiée par Le Bruit du Temps est la première à offrir l'intégralité du texte connu; elle est présentée par Luba Jurgenson.
Réfléchissant sur la haine et sa dialectique, Julius Margolin écrit, page 603: "La Haine m'intéressait moins par son mécanisme individuel que par sa fonction sociale, son sens moral et historique. La Haine se manifestait à mes yeux comme une arme, comme l'un des moteurs de la civilisation contemporaine." Il distingue alors plusieurs catégories de "haine": la haine infantile, ("une bulle de savon") la haine des masses, la haine intellectuelle ("abstraite", qui vise le péché, non le pécheur) et la haine rationnelle ("la haine positive de ceux qui prennent les armes pour arrêter les forces du mal"). Ces haines ne sont pourtant rien comparées à la "Haine originelle et pure, puissante bien qu'aveugle, aveugle bien que puissante, et d'autant plus active que rien ne la légitime": celle de l'Etat, russe ou allemand.


Vivement février

Janvier serait-il le mois le plus cruel ? Christine Angot, Florian Zeller, Philippe Sollers, Jean-Marie Rouart, Philippe Delerm, François Bégaudeau, Nicolas Fargues, Géraldine Beigbeder (!) et Alexandre Jardin (cf. photo) semblent avoir conclu un pacte occulte pour nous faire désirer février avec ardeur et impatience. Loin de ces histoires de pères pétainisants (?), de mères matriarcales (le retour de la mummy?) de lacunes, pardon, de lagunes stendhaliennes (love on the water…) de Nantaises consommables (la gageure, la vraie !), de post-soixant-huiteux désillusionnés (!!) et de ravissante étudiante d'origine russe (!!!), il se passe pas mal d'autres choses, heureusement. Un nouveau livre d'Eric Chevillard, entre autres, qui va nous permettre de mesurer le vide qu'a laissé en n'existant pas l'hypothétique Dino Egger (on y revient bientôt), et du coup de réaliser à quel point ceux qui occupent sa place auraient mérité son sort. Profitons donc de ce mois facétieux pour saluer la naissance d'un nouveau magazine littéraire, The Black Herald, piloté par Blandine Longre et Paul Stubbs (auteur du long poème Ex Nihilo.) "Éclatement des codes, des frontières nationales et textuelles" ? Good. C'est exactement le remède qu'il nous fallait. Bon, on va finir par aimer janvier, si ça se trouve.

mercredi 12 janvier 2011

Lot 49 : same thing but different…


En mars 2011, la collection Lot 49 (cherche midi éditeur) publiera le nouveau roman de Richard Powers, Générosité (traduit par Jean-Yves Pellegrin), puis, fin avril, le premier roman de Paul Harding, prix pulitzer 2010, Les Foudroyés – titre original: Tinkers – dans une traduction de Pierre Demarty — l'occasion de changer de visage avec une nouvelle maquette signée Rémi Pépin. Un hurlement traverse le ciel – same thing but different…