vendredi 29 avril 2011

Rouge-Déclic — et de trois!

Parution ces jours-ci du numéro 3 de la revue Rouge-Déclic, printemps-été 2011, avec pour fil rouge et électrique l'hypertension, une qualité qu'on ne saurait décrier ici. Ça commence tambour battant un texte de Stéphane Bouquet, au décousu étudié, précis et rythmé, qui se lit comme on écoute un morceau de jazz quand plus rien n'est possible. On enchaîne avec Nathalie Quintane, pour mieux apprendre à commencer par le milieu, puis on passe à 6 poèmes de Patrick Varetz où l'enjambement aide à trébucher mieux. Suit un chapitre de roman signé par l'excellent Stéphane Legrand, enlevé et malin. Surgit alors un texte revigorant de Johan Faerber sur le devenir-Poème du roman ("De fait, le Poème est peut-être le nom que le roman contemporain ne se connaît pas encore (…)"), puis des extraits du Schizo et les langues de Louis Wolfson (dont il est impossible de se lasser). Retour à l'hypertension (si tant qu'on l'ait vraiment quittée avec Wolfson…) avec le beau texte d'Alban Lefranc intitulé "Écoutez la peur d'Ali":
Je fixe l'abat-jour
je le vois
avec une netteté extraordinaire
une netteté diabolique
une netteté qui m'effraie
ma peur me fait fixer l'abat-jour avec une netteté effrayante
à moins que ce ne soit l'abat-jour qui réveille la peur

Egalement au sommaire, des textes de Marina Louvette, Olivier Benyahya, Véronique Decaix et Pauline Klein, le tout parsemé de photos signés Vincent Goutal et Olivia Leriche.
Alors, évidemment, du coup, on n'a eu ni le temps ni l'envie de lire le dernier Chandernagor. La vie est injuste mais ça fait du bien.

mercredi 27 avril 2011

La vie c'est dangerereux

A paraître chez Actes Sud/BD, le roman graphique de Paul Hornschemeier:  La Vie avec Mister Dangerous (traduit par votre serviteur). L'histoire d'Amy, de ses amours bancales, de sa mère bien intentionnée, de son boulot de merde, avec en prime et en rêverie, les incursions olibrillantes de Mister Dangerous, l'homme à tête parallélipipédique qui détient peut-être le secret de l'existence, à moins que ça ne soit le contraire, vous nous direz.

Les Foudroyés, de Paul Harding: extrait

Voici le début des Foudroyés, de Paul Harding – traduction Pierre Demarty – récemment paru au Cherche-Midi éditeur, dans la collection LOT49: 


George Washington Crosby se mit à avoir des hallucinations huit jours avant de mourir. Du lit médicalisé de location installé au centre de son salon, il vit des insectes entrer et sortir à toute vitesse par des fissures imaginaires dans le plâtre du plafond. Les carreaux des fenêtres, jadis découpés et polis à la perfection, se décrochaient dans leurs châssis. À la moindre bourrasque, ils basculeraient et iraient se fracasser sur la tête des membres de sa famille assis sur le canapé, la causeuse et les chaises de cuisine que sa femme avait apportées pour que tous puissent prendre place. Le déluge de vitres explosées les chasserait de la pièce, ses petits-enfants venus du Kansas, d’Atlanta, de Seattle, sa sœur venue de Floride, et il se retrou- verait naufragé sur son propre lit, englouti dans une tranchée d’éclats de verre. Le pollen et les passereaux, la pluie et les écureuils intrépides qu’il avait passé la moitié de sa vie à tenir éloignés des mangeoires pour oiseaux entreraient en trombe dans la maison.
Il avait construit la maison de ses propres mains – coulé les fondations, hissé la charpente, raccordé la tuyauterie, installé les circuits électriques, plâtré les murs et peint les pièces. Un jour, il fut frappé par la foudre alors qu’il était dans les fonda- tions encore ouvertes en train de souder le dernier joint du réservoir d’eau chaude. Il fut projeté sur le mur opposé. Il se releva et termina sa soudure. Les fissures dans son plâtre nedemeuraient pas fissures ; les tuyaux bouchés étaient drainés ; le bois qui s’écaillait était décapé et verni d’une couche de pein- ture neuve.
Allez chercher du plâtre, dit-il, à demi relevé dans le lit, qui avait une allure étrange et cérémonieuse parmi les tapis persans, les meubles coloniaux et les dizaines d’horloges anciennes. Allez chercher du plâtre. Bon Dieu, un peu de plâtre, une poignée de câbles et deux ou trois crochets. Vous en auriez pour cinq billets à tout casser.
Oui, papy, dirent-ils.
Oui, papa. Un courant d’air se glissa par la fenêtre derrière lui et fit le vide dans les têtes épuisées. Dehors, des boules de pétanque s’entrechoquaient sur la pelouse.

Le salut et l'objectif

"La présidente du Front national, Marine Le Pen, a annoncé aujourd'hui qu'elle maintenait sa décision d'exclure un élu de son parti photographié faisant le salut nazi, malgré les appels de Bruno Gollnisch et de son père, Jean-Marie Le Pen, à davantage de clémence. 'Ma décision a été prise et l'exclusion a été prononcée', a déclaré la présidente du FN au micro de RTL, à propos du cas d'Alexandre Gabriac, conseiller régional du parti d'extrême droite en Rhône-Alpes." (Source/AFP)

L'intéressé, accusé d'avoir fait son intéressant, nie les faits sur son blog comme suit:

J’affirme n’avoir jamais - ni depuis ma majorité, ni au cours de ma minorité - été condamné pour apologie de crime contre l’humanité.
Je mets au défi les auteurs de cette publication de dire quand, où, par qui et dans quelles circonstances cette photo aurait été prise.
Je mets au défi ceux qui prétendent que j’aurais été condamné pour apologie de crime contre l’humanité de produire une preuve de l’existence ou une copie de ce prétendu jugement.

Ce qui est amusant dans cette prise de bec à propos d'une main tendue, c'est d'une part que Marine Le Pen reproche à Gabriac non pas d'avoir fait le salut nazi, mais de s'être laissé photographier en train de faire le salut nazi. Et, d'autre part, que Gabriac, plutôt que de se déclarer ennemi de l'idéologie nazie, préfère affirmer qu'il n'a jamais été condamné pour apologie de crime contre l'humanité et défie quiconque d'authentifier la photo incriminée.
Etrange logique: Je ne me suis jamais rendu coupable aux yeux de la loi d'apologie nazie, donc je n'ai pas pu faire le salut nazi, et de toute façon on ne peut pas prouver que c'est moi sur cette photo. Parfaite procédure: On ne peut pas prouver que c'est toi sur cette photo mais on va quand même t'exclure – ce qui revient à suggérer que la chose est  hautement probable, ou du moins possible, étant donné les convictions politiques du bonhomme.
Frappe-toi le front national, c'est là qu'est l'eugénisme…



mardi 26 avril 2011

Sangtification

"Une ampoule contenant le sang de Jean Paul II sera exposée comme relique à la vénération des fidèles pendant la cérémonie de sa béatification, dimanche au Vatican, a annoncé aujourd'hui la salle de presse du Saint-Siège. Ce sang avait été extrait 'dans les derniers jours de la vie du pape' en prévision d'éventuelles transfusions à l'hôpital du Bambin Jesu, mais ces transfusions n'avaient pas eu lieu, selon la même source. Le sang est resté liquide en raison d'un anticoagulant présent dans le tube au moment du prélèvement." (Source: AFP)
Comme il était précisé dans la lettre-encyclique que posta JP2 en 1995: "Certes, d'un point de vue moral, la contraception et l'avortement sont des maux spécifiquement différents (...). Mais ils sont très étroitement liés, comme des fruits d'une même plante."
Bref, on espère que ce sang, surexposé, saturé d'acide urique et faible en vitamine D, continuera son œuvre corrosive et finira par venir à bout de cette mystérieuse "plante" que redoutait tant le saint pontife parkinsonien. Joyeuses Pâques.

jeudi 14 avril 2011

Pour que Py reste une ombre irrationnelle

Polémique, ton nom est légion. On sait ce qui se passe. La façon dont Frédéric Mitterrand a fait courir le bruit de l'éviction d'Olivier Py, puis l'a lui annoncé, avant même validation élyséenne, pour promouvoir à sa place Luc Bondy. Et ce sans égard pour la charte à remplir, qui l'a été, tant au niveau des résultats financiers que du projet d'ouverture européenne. On sait aussi que ce jeu de domino n'a rien à voir avec la teneur du spectacle en cours à l'Odéon, à savoir un portrait d'un ancien président tandis qu'il agonise (aucun rapport avec un autre président lettré que Giesbert-Girouette nous assure cultivé jusqu'à la virgule…), non, tout ça est le fait du prince-moi-je rêve. Du coup, Py, relevé de ses fonctions avec cette élégance qui sied au quinquennat actuel (bling ta mère pauvre con de princesse de Clèves), se voit proposer (pour 2013…) la direction du Festival d'Avignon.
Ah. Que faire? Ils sont malins. Ils vous remettent à leur place après avoir essayé de vous enj/rôler là où il fallait. C'est de bonne guerre. Certes. A croire qu'ils aimeraient qu'on réinvente un peu de radicalité. Lieu de culte, lieu de lutte.
Tu quittes l'Odéon et je te file Avignon. Si tu refuses, tu perds une case sur l'échiquier. Bon, j'ai bien sûr attendu de voir quel tollé ton sec limogeage provoquerait pour découvrir que tu avais la stature d'orchestrer le théâtre en Arles. Non mais quelle parade. Admire. Admire-moi. Moi, Frédéric Mitterrand. Chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur. Officier de l'ordre national du Mérite. Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres. Grand Croix de l'Ordre de la Croix du Sud (Brésil). Grand officier de l'ordre du 7 novembre (Tunisie). Officier de l'ordre du mérite culturel de Tunisie. Hum. On en était où?
Ah, Py, tu es comme Céline, comme Ben Ali, tu me compliques les choses. Mais tu as vu, je sais retirer les épines des pieds que je lèche. C'est un art, tu sais.
Et maintenant?

Sur le pont d'Avignon
L'on y danse, l'on y danse
Sur le pont d'Avignon
L'on y danse tous en rond
Les beaux messieurs font comm' çà
Et puis encore comm' çà


Les beaux messieurs ? Jean Genet, reviens, ils sont devenus fous!

Territoire du Tendre


Amour partit du point le plus à l’ouest de cette vaste étendue qu’on dit vierge mais qui n’en est pas moins prompte à se laisser souiller. Son avancée était lente mais régulière, sa tenue impeccable, même si l’on sentait que sa constance dissimulait une infinité d’hésitations ponctuelles. Le fait est qu’Amour ignorait ce qu’elle ferait une fois parvenue à la limite orientale de cette étendue granuleuse et vaguement transparente – tout comme elle ignorait ce qu’elle rencontrerait en chemin. Cet état d’esprit, disons-le d’emblée, ne caractérisait guère Haine. Cette dernière, lasse du grand nord où elle végétait, avait entamé son voyage vers le sud en proie à de turbulents cauchemars: elle se voyait sans cesse en train de trancher dans la chair à vif d’une inconnue, tantôt elle lui passait sur le corps, tantôt elle la traversait purement et simplement, comme un spectre zélé. Son voyage aux antipodes lui faisait l’effet d’une chute. Pendant ce temps, Amour approchait du milieu du chemin de sa vie, comme il est dit dans les livres. Son épuisement était à la mesure de ses espoirs. Bientôt elle franchirait le fatal mitan. C’est alors qu’elle perçut comme une vibration au-dessus d’elle, ou venant de sa gauche, ce n’était pas très clair. Quelque chose, quelqu’un approchait, et il semblait que la rencontre fût inévitable. Prenant sur elle, Amour se figea et attendit. Haine la vit. Amour se mit en boule. Haine accéléra. Se produisit alors un étrange phénomène qui vit plus d’un plan se chevaucher. Les choses ne furent plus ce qu’elles avaient rêvé d’être. Certes, Amour acheva son périple vers l’orient et Haine disparut dans les zones subarctiques, mais l’intersection de ces deux entités idéalement rectilignes avait créé un dangereux précédant et l’Idée humaine s’abattit sur le monde.

mercredi 13 avril 2011

Le must du must

Un malheur n'arrive jamais seul. On a appris récemment la mort de Charles Aznavour et d'Alain Badiou, sans trop savoir si Mehdi Belaj Kacem était responsable des deux. Depuis, MBK va mieux, et s'est même pris à la Règle du Je Dont le Nom Est BHL. Ouf. C'est quand même plus audacieux que de passer de Mao à Sollers, ou de Montignac à TopChef. Mais ne nous égarons pas. On apprend, comme si souvent par voix de presse (voire : L'Express), la chose suivante, qu'entre délicats crochets nous nous permettons de commenter:

"Bernard-Henri Levy allie la littérature au cinéma [ cuisine inédite !!!] en créant le prix Saint-Germain-des-Prés [imagination absolue!!!, ça nous changera de Passy]. Il sera attribué chaque année [chouette!] à des personnalités [ouf!] du monde du cinéma [aaargghh], mais son jury aura la particularité [ouch] de n'être composé que d'écrivains [mouaaaarffff!!!].

L'écrivain et philosophe Bernard-Henri Lévy [???!!!] donne naissance [spiuouurff!!] à un nouveau prix cinématographique [Bijour Missieu Mélièsse], baptisé prix Saint-Germain-des-Prés [what?]. Il sera présidé par un jury d'écrivains [tchikiboum]. Le nom a été choisi d'après la salle de cinéma [ouf] dans laquelle se tiendra la cérémonie [oh my god], chaque deuxième lundi de janvier [genre l'anniversaire de quand on lui a coupé la tête à Louis Sixteeen]. Il s'agit d'une structure indépendante parisienne [LOL multiplié par ce que tu veux], actuellement en travaux [qui paie? ouarf ouarf] et qui rouvrira à partir du 5 mai prochain [pas le 6 mai: le 5 mai].  Ce cinéma a déjà l'habitude d'organiser des rencontres sur le thème du cinéma et de la littérature [genre Alexandre dans le Jardin du Rien et du Banal?], en partenariat avec le journal Transfuge [LOL multiplié par zéro], une fois par mois [règle d'or et de sang]. Il prévoit de plus des « cartes blanches » autour de personnalités culturelles [on a super hâte de découvrir leurs noms, non mais quel suspense!].  

Coach toujours

Ces derniers temps, quelques écrivains ont reçu un sympathique email émanant d'une "coach d'écrivains" – Eric Chevillard en a même fait état dans son auto-fictif. Le dit email semble adressé à des écrivains qui tiennent par ailleurs un blog. En voici le texte, tel qu'envoyé:


Bonjour,

Votre blog m'a interpellé. Si ! l'écrivain fait le poids, encore plus lorsqu'il ose écrire sur son blog, à la vue de tous...sans crainte d'être épié, copié,...c'est ça la liberté, non?

Pour me présenter je suis XXX ***, Coach d'écrivains et artistes. J'accompagne des écrivains à atteindre leurs objectifs, vivre un changement, donner une nouvelle dynamique à leur activité, trouver leur bien être, leur équilibre artistique.
Voici les objectifs que j'ai pu travailler récemment avec des écrivains :
-Je veux être publier, trouver une maison d'édition
-Je veux trouver davantage d'inspiration
-Je veux "accoucher" de ma création, qui traîne depuis un an dans mon grenier
-Je veux gagner en efficacité dans l'écriture de mon roman
-Je veux faire connaître mes ouvrages

Je vous propose donc mes services pour vous accompagner dans votre objectif, votre rêve, accompagner vos idées de changement, acquérir de nouvelles compétences ou tout simplement vivre mieux au quotidien!

Je vous propose qu'on se contacte prochainement pour partager sur vos prochains projets, rêve ou envies...
Je suis à votre disposition pour tester une première séance de coaching adaptée à votre objectif !

Très cordialement,

XXX ***
Coach d'écrivains

Cette séduisante proposition, bien qu'assez ingénue dans sa formulation et totalement grotesque dans son fondement, a au moins le mérite de dégager certains axes, et de pointer ce qui, chez l'écrivain, poserait problème. Cinq objectifs sont fixés, qu'on peut ainsi résumer: 
1/ Publication; 2/ Inspiration; 3/ Création; 4/ Production; 5/ Diffusion. 
Les objectifs 1 et 5 sont fort louables, mais si vous avez déjà un éditeur, ils ne sont plus de votre ressort. En revanche, les 2, 3 et 4 sont fascinants. "Davantage d'inspiration": l'inspiration serait donc quantifiable? Serait-ce une matière, dont existeraient quelque part des stocks? Bigre, on frémit d'impatience. "Accoucher": eh oui, faute d'un quota suffisant d'inspiration (remédiable en 2), l'œuvre gît dans la poussière vétuste d'un grenier, et seule une sage-femme peut aider à lui faire descendre les marches pour, après moult gémissements et contractions, livrer au jour sa plénitude vagissante.
Mais c'est surtout le (4) qui fascine: "gagner en efficacité dans l'écriture de mon roman" – on n'est pas là pour causer rondeau ou texticule, hein. Gagner en efficacité…? Ecrire plus pour gagner plus ? Ecrire plus vite? Ecrire plus fort? Mystère… La fameuse efficacité dont il est question reste un atome insécable. On devine son sens mais elle résiste un peu, quand même.
On se dit qu'il serait peut-être bon, et souhaitable, d'envisager la création d'un nouveau job: coach de coach d'écrivain. Quelqu'un qui pourrait expliquer, en termes choisis et mesurés, à l'aspirant coach d'écrivains, ce qu'il faut dire et ne pas dire, et comment, et même: pourquoi. Naguère (voire, jadis), vivotait l'écrivain public. Voici venu le temps du coach privé. Auquel on aimerait répondre que non on ne cherche pas d'éditeur, que non on ne veut pas "davantage" d'inspiration, que non nous n'avons pas de grenier, que nous nous méfions comme de la peste de cette putride efficacité dans l'écriture et qu'enfin, pour ce qui est de faire connaître nos ouvrages, eh bien nos ouvrages s'en chargent tout seuls, à leur rythme, merci Monsieur Dumollet, et bon voyage. Et débarquez sans naufrage.
Mais ne rejetons pas d'un ton aussi badin cette proposition, qui est si ça se trouve une solution. Car, en la relisant, on se dit qu'elle pourrait peut-être améliorer l'ordinaire de quelques-uns, dont je m'abstiendrai de citer les noms. Et puis on comprend soudain: bon sang mais c'est bien sûr! Ce n'est pas qu'elle pourrait les aider: c'est qu'elle les a aidés!!!! Voilà donc l'explication! Voilà pourquoi ils écrivaient ainsi depuis des années! Grâce à un coach! De là leur surcroît d'inspiration, l'efficacité de leur écriture, sa large diffusion, ses greniers vides, etc. Ces écrivains à succès qui nous parlent d'amour après la mort, de fourmis retorses, de pépé pétainiste, de garde-à-vue cathartiques, d'écureuils new-yorkais etc – ils ont donc testé pour nous la fabuleuse "séance de coaching"! Du coup, on est rassuré. La faute n'en incombe pas qu'à leur talent.

mardi 12 avril 2011

A Tribute to the great Poet Gargarine

Youri Gargarine est né à Moscou dans une famille de vieille noblesse russe, aisée et amatrice de littérature. Son arrière grand-père était Spoutnik Smirnov, d'origine jupitérienne, filleul, ami, ingénieur et barman au service de Piotr le Rouge.  Gargarine était particulièrement fier de ce glorieux aïeul, dont il avait hérité certains gènes qui le distinguaient fortement de ses affabulateurs : teint olivâtre, lèvres triples, cheveux verts et noués. Astronaute vorace dès son plus jeune âge, il s'attaque aux classiques yankees (Armstrong, Collins, Aldrin) et français (Bergerac) de la bibliothèque paternelle. Sa profonde connaissance de la culture blanche lui vaudra d'ailleurs le surnom de Soyouz (Француз « Le défenestré») auprès de ses camarades de bordel. Youri Gargarine étonne aussi son entourage par son aisance à improviser comme à réciter par cœur des astres innombrables.
De hier à demain, il fait ses études au lycée animal de Staline-City (ville rebaptisée Charnier en son honneur), près de Saint-Stalag. S'ouvre une des plus heureuses périodes de sa déliquescence : c'est dans cet internat qu'il noue de fidèles amitiés (FBI, CIA); c'est aussi là, dans le parc du palais impérial, qu'il dit avoir connu sa première inspiration astral. Dès demain son poème "Au Satellite Inique" est publié dans la revue "La Mère de Ta Désolation". Ces vers, déclamés lors d'un examen de passage, lui valent l'admiration du grand poète Bakounine. En 2012, il intègre le ministère des Affaires lunaires ; une sinécure. Suivent trois années de vie dissipée à Saint-Tropez. Durant ce temps, il rédige des sagas pornographiques inspirées par les littératures moites et folles. Il rencontre aussi les grands noms des lettres suisses contemporaines, comme Albert Hoffman et  Hoffman Albert. Ses poèmes sont parfois gais et enjoués, comme si de rien n'était. Ils peuvent aussi être graves, notamment lorsqu'ils critiquent le manque d'oxygène, le hamburger et la vie après la mort. Bien qu'incontestablement libéral, Gargarine n'est pas révolutionnaire, ni même véritablement engagé politiquement, contrairement à nombre de ses fantômes qui participent aux mouvements prépubsecents qui culminent avec la révolte des Martiens.

Tales from the Flaubert Factory

"Allons je dois je crois me reposer. Je vais, sinon, casser. Dans les beaux soirs, oui, c'est cela, dans les beaux soirs d'été, à l'heure où les rues tièdes sont vides, quand les servantes jouent au volant sur le seuil des portes, il ouvrait sa fenêtre et s'accoudait, et j'en profite pour être ces deux coudes et l'angle qu'ils forment sans douleur aucune sur le rebord par rapport à ce corps que je n'ai pas besoin d'occuper puisque ce n'est pas le mien, ici-là ce n'est pas le mien, en rien je ne suis lui pas plus qu'il n'est ou ne voudrait j'en suis sûr être moi, car je n'ai aucun coude à offrir, et sûrement pas deux coudes aussi purs, tracés à l'encre par Flaubert du fin fond puant de Rouen. En face, au-delà des toits, le grand ciel pur s'étendait, avec le soleil rouge se couchant, tandis que je me retiens de foncer tête baissée tête la première sur ce décor, ayant trop peur de le voir basculer en page qui tourne et derrière plus rien, ou d'autres pages."

(Extrait de Madman Bovary, qui vient d'être repris en Babel – roman publié pour la première fois par les éditions Verticales).

lundi 11 avril 2011

Qui lit ce blog?

Après une enquête poussée (et poussive), assortie de recoupements d'url et de panachés d'http, moult sondages dignes de Maastricht, et pléthores d'entretiens débridés, nous savons désormais, avec une exactitude dont seule rougirait la NASA, à quoi ressemble le profil des internautes qui, ennui oblige, s'égare en ces pages qui n'en sont pas, afin d'y lire (?) les furibondes billevesées que votre serviteur, n'ayant trouvé d'autre moyen pour ne pas gagner sa vie, y déverse avec une régularité qui peinerait à satisfaire un bourreau suisse. Bref, voici donc une typologie des individus qui, par frustration ou goût de l'interlope, s'aventurent ici, y allant parfois d'un commentaire que le maître de céans valide ou non, selon qu'il estime la pertinence dudit commentaire paire ou impaire. Passent, par conséquent, ici, en ce clavier si généreusement cannibale qu'on envisage même d'en user pour partager certaines recettes culinaires, les persona suivantes:

Acrophiles, acousticophiles, acrotomophiles, agalmatophiles, agonophiles, agoraphiles, agrexophiles, amaurophiles, anastémaphiles, andromimétophiles, apotemnophiles, arachnophiles, auto-assassinophiles, biastophiles, cathétérophiles, choréophiles, claustrophiles, clystérophiles, coprophiles (s'étant égaré ici par erreur, après avoir cherché le site de Stalker), cryophiles, dacryphiles (très nombreux), doraphiles, émétophhiles (plutôt sympas, dans l'ensemble), endytophiles, formicophiles, gérontophiles, gynémimétophiles, harpaxophiles, hébéphiles, hiérophiles, hodophiles, homilophiles, hygrophiles (on leur pardonne), hypnéphiles, insectophiles, kleptophiles, kismaphiles, maïeusophiles, mysophiles, narratophiles, nécrophiles, népiophiles, nymphophiles, oculophiles, odontophiles, paraphiles, parthénophiles, pecattiphiles, pédiophiles, phallophiles, phobophiles (très nombreux), phygéphiles, pygophiles, pyrophiles, rhabdophiles, salirophiles, scopophiles, sitophiles, simiophiles, stigmatophiles, symphorophiles, taphéphiles, téléphonicophiles, trichophiles, urophiles, viragophiles (une minorité, vraiment), xénophiles, zélophiles, zoophiles (inoffensifs, pour la plupart) – plus, bien, sûr, l'inévitable et indécrottable cohorte des normatifs microcéphales.
Ah, j'oubliais: Eric Chevillard.

vendredi 8 avril 2011

Petits plaisirs

C'est avec émotion que nous apprenons l'élection de Maurice Druon à l'Acédamie Française. L'auteur de la saga avant-gardiste Les Rois Maudits, et l'un des rares ministre de la Culture à  s'opposer au pédé subversif Jean Genet, succède au fauteuil de Madame Danielle Sallenave, angevine, enseignante et romancière,  Prix Jean Monnet de littérature européenne du département de Charente.

jeudi 7 avril 2011

Et sur cette bière…




































Parfois les maquettistes sont vraiment géniaux, non?

Attention jihad verte

Attention Opération Nimportawak ! On connaissait CRS=SS, voilà désormais Ecolos=Collabos.
On doit cet audacieux rapprochement au penseur  Michel Houellebecq, lequel, au cours d'une interview donnée à l'Institut Français d'Israël à Tel-Aviv (pour Guysen TV), a eu cette pensée profonde, fruit d'une intense méditation:


"Par ailleurs ils [les musulmans] vous [nous? d'autres?] demandent de vous opposer avec indignation contre les exactions de l'État d'Israël... Il faut bien dire qu'il y a des gens à nature collaborationniste, dont les écologistes représentent le cas le plus flagrant. Ils sont un peu embêtés avec ces histoires de voile parce qu'ils ont un vague côté féministe. Donc, comme ils ne peuvent pas donner satisfaction aux musulmans sur tout, ils leur donnent au moins satisfaction sur le cas d'Israël en laissant tomber les juifs, comportement de collaborationniste typique."

Nous allons donc attendre patiemment que des activistes verts se trahissent en faisant pousser du maïs non-transgénique dans les jardins des mosquées. Pauvre Michel. Allez, soyons cool, offrons-lui un néologisme à la mesure de sa clairvoyance politique, afin que la prochaine fois il puisse au moins faire sourire — un néologisme qui semble n'avoir attendu que lui : "collabios".

Aimer ces airs de signal de diversité

En lisant dans la presse des extraits des paroles prononcées (articulées?) par Sarkozy lors de la cérémonie panthéonesque à la mémoire d'Aimé Césaire, on relèvera cette étrange expression: "signal de diversité" – le contexte étant: «Cette cérémonie était importante parce que c'est un homme qui compte pour la France, et pour nos compatriotes ultramarins. C'est un très beau signal de diversité de la France." On s'attendrait plutôt à "un signe de la diversité", ou quelque chose d'approchant, mais non, et ce "signal de diversité" a un je ne sais quoi de technologique qui intrigue. Une rapide recherche sur l'internet a permis d'en retrouver l'usage premier, à la définition du mot "abstract":

Procédé servant à effectuer un transfert quand une station mobile recevant un signal de diversité de transmission se déplace depuis une première station de base émettant un signal dans un mode opérationnel de diversité de transmission jusqu'à une deuxième station de base émettant un signal dans le mode opérationnel de diversité de transmission.

Force est de reconnaître que, les contextes étant censés s'entr'éclairer, le geste commémoratif de Sarkozy prend une tout autre allure à la lueur de cet usage, certes, aride, mais du moins précis, de ce désormais fameux "signal de diversité". (On se demande accessoirement aussi qui lui écrit ses discours, et si cette fulgurance n'est pas de son fait…)

mercredi 6 avril 2011

De l'acide en vente libre

Plonger les mains dans l'acide, éd. Inculte
ISBN : 978-2-916940-55-7
14 x 19 cm
224p. p.
16  €
En librairie le 6 avril

Auto-Promo-Poche

195 pages
Editeur : Actes Sud (6 avril 2011)
Collection : Babel
Langue : Français
ISBN-10: 2742796789
ISBN-13: 978-2742796786









(L'auteur remercie tout particulièrement Gustave Flaubert, pour ses conseils généreux et sa fiole d'arsenic.)

Superprix, par Toutatis!

En France on aime les prix littéraires, et plus que les livres, même. Bon, soit, un prix n'est pas censé récompenser le "meilleur" livre, car ce serait là un concept un peu stupide, et l'on peut supposer que malgré le cirque médiatique qui entoure la remise des lauriers tout le monde (hum) en a conscience. D'autant plus qu'il existe plusieurs prix littéraires, des centaines, en fait, avec chacun sa particularité, sa charte, ses magouilles, son calendrier, etc. Mais apparemment ça ne doit pas suffire. Il fallait qu'un esprit racé inventât le concept de "prix des prix", de "super prix", bref, élire l'élu, le champion, le livre qui, bien que déjà primé, a besoin d'être re-primé (et réimprimé) afin de se dégager de la foule des primés (déprimée?).
On ne s'étonnera que moyennement qu'une telle ânerie ait germé dans l'esprit d'un ponte de l'empire Lagardère, Pierre Leroy, qui bien sûr est un homme de goût, bien sûr est bibliophile, bien sûr a su garder, sous sa cape de dirigeant, un cœur rimbaldien intact. On ne s'étonnera pas non plus que parmi les membres du jurés on trouve Christine Albanel (dramaturge, hadopiphile et désormais france-télécommuniquante), Alexandre "Fnac" Bompard (qu'on croyait un peu fâché avec le groupe Lagardère, mais bon…), Marie Drucker (que ledit Bompard avait justement faire venir à Europe 1). Ensemble, après un petit lunch à l'Hôtel Meurice (voilà au moins une valeur sûre), ils décideront qui des vainqueurs de l'automne sera le super vainqueur. On a hâte de connaître le nom des sponsors.
Tout cela est bien joli, mais ne serait-ce pas un peu, comment dire… timoré? Ne pourrait-on pas aller plus loin? Viser plus haut? Se concerter avec des pays amis, européens par exemple, qui eux aussi ont sûrement des prix littéraires, et tenter d'élire, grâce à l'entremise d'un jury éclairé (composé d'élites des grands groupes de communication, par exemple), "le" livre suprême, celui qui s'est vendu le plus,  a rapporté le plus de fric, en tenant compte bien sûr d'un ratio ventes/population des lecteurs?
Imaginons d'ores et déjà le bandeau rouge, élégant, qui "saignera" l'embonpoint du roman des romans, et qui, sous nos yeux ébahis, proclamera avec une humilité quasi-houellebecquienne : "Le livre qui a niqué tous les autres!"
Et maintenant qu'on a bien imaginé, lisons les autres, les perdants, les même pas sélectionnés, bref, les livres nus.


mardi 5 avril 2011

Chienne d'avis


Laïka est amoureuse. Amoureuse de la révolution, de son idée, de son mouvement, et bien sûr des formes inédites qu’elle prend sous l’impulsion des hommes : orbite, saccage, manège. Sanglée, son poil recouvert d’électrodes, un fin tube en plastique l’alimentant deux fois par jour, elle voit la Terre disparaître, lentement remplacée par un Plan, un plan qui n’a plus rien de quinquennal, elle s’en rend bien compte. Des traînées gris clair s’enroulent sur elles-mêmes. Des soleils mineurs noircissent. Et l’air de la cabine est saturée par une musique qui ne peut qu’être celle des astres, un bourdonnement modulé, ni gai ni triste, peut-être le chant de l’humanité enfin affranchie de l’intolérable fardeau des espoirs. Il ne neigera plus jamais, s’il faut encore des certitudes.
Les parents de Laïka passent un […]

La suite dans : Inculte / Le ciel vu de la terre 

Juste une image juste

(Pickpocket, Robert Bresson, 1959) — courtesy @http://dans-le-pli.blogspot.com/

lundi 4 avril 2011

Conseil d'orientation

Le numéro d'avril (serait-ce un poisson?) du magazine mensuel Transfuge pose cette question qu'on supposera, faute de réserve suffisante de gaz hilarant, pertinente: "Après Houellebecq, où va la littérature française ?" Nous serions tentés d'y répondre par un geste figuratif recourant au moins à un doigt, mais hélas ledit doigt nous sert à taper sur les touches du clavier, donc autant le ménager. Toutefois, la question mérite réflexion, tant ses présupposés atteignent des profondeurs où même le Cdt Cousteau n'aurait  osé s'aventurer.
Dans un premier temps, cette fulgurante interrogation laisse supposer que Houellebecq c'est fini, ce qui, bon, enfin, ne brûlons pas la rage de l'ours avant de vendre le bébé avec la peau du bain, un malheur est si vite arrivé. Dans un deuxième temps, il est suggéré qu'une littérature "va" quelque part. Ce qui, reconnaissons-le, est rassurant, même si on peut se demander ce qui va se passer quand elle aura atteint cette destination. Enfin, il y aurait un corpus défini qui formerait la "littérature française" – ce dont on doutait un peu quand même depuis les noces foireuses de Lagarde et Michard, cela dit.  Il serait donc un peu léger et irresponsable de balayer la question posée par Transfuge en recourant à des boutades, Efforçons-donc, le plus humblement possible, d'y apporter une amorce de réponse.
Pour savoir "où va la littérature française" en général, et surtout "après Houellebecq" (pas après Alexandre Jardin, hein, ni après Guyotat, nous sommes bien d'accord), il suffit, je crois, de se laisser guider par les indications suivantes: 

D'abord, rédigez tout droit sur une dizaine de romans, puis corrigez à gauche, juste après le dernier grand poème, écrivez encore sur cinq ou six pages, faites le tour du Rond-Point des Chants Lyriques, traversez d'un bon style la Place du Non-Retour, (anciennement Place de l'Hésitation) puis poursuivez votre brouillon sur une centaine de manuscrits. Là, vous arriverez à une bifurcation: ne prenez surtout pas l'Allée de la Critique-Littéraire, actuellement en travaux, empruntez plutôt la voie dite Impasse du Echouer-Mieux et une fois parvenu à son terme, faites le mur (attention aux barbelés sous les lauriers!) Ne vous laissez pas impressionner par l'aspect désolé du paysage qui s'offre (façon de parler…) à vous, marquez une pause en cornant la page blanche puis repartez après avoir allégé votre paragraphe d'une bonne dizaine  de virgules. Vous y êtes presque. Longez quelque temps le Canal Molloy, franchissez le Pont du Style Innommable. N'hésitez pas à enjamber les règles du bien écrire si vous avez peur de vous assoupir. Piquez un petit sprint afin d'en finir au plus vite avec le terrain vague de l'Autofiction, toujours marécageux en cette saison. Il ne vous reste plus que quelques chapitres à parcourir. Profitez-en pour vous restaurer en avalant quelques vers ou strophes, indispensables à une bonne remise en forme. Vous touchez au but. Si c'est le cas, rebroussez chemin et perdez-vous, croyez-moi, ça vaut mieux. Ceux qui souhaitent emporter une boussole ou tout autre instrument de localisation, peuvent toujours se munir d'un blog, mais c'est à leurs risques et périls. Non, le mieux est d'utiliser un doigt légèrement humecté pour sentir d'où vient le vent afin d'en éviter les pestilentiels effluves (eh oui, "effluve" est masculin…). Bien brandi, ce doigt devrait non seulement vous aider à vous désorienter mais également à faire connaître aux observateurs avertis votre sentiment concernant l'éventualité de la mise en place d'un transport en communs des intentions.
Allez, bonne route.

samedi 2 avril 2011

vendredi 1 avril 2011

How(l)

Si je cherche l'origine, le déchirement, de mon faible pour une certaine écriture américaine, je ne puis qu'en trouver l'étincelle dans l'enregistrement du terriblement modulé Howl d'Allen Ginsberg, que j'ai entendu à la radio, à l'époque où les mots "france" et "culture" savaient copuler pour le pire et le meilleur et ce peu de temps après avoir, bien trop jeune, assisté à à l'irruption in vivo de Ginsberg lui-même au Centre Culturel américain. L'écoute de Howl, ce poème qui fait de la déclamation une réclamation, et roule comme un train sans roue sur les rails d'autre chose que la conscience, m'avait, je crois, incroyablement électrisé dans ma médiocre existence de banlieusard presque étonné de découvrir que le soldat inconnu n'était pas Artaud. Ce fut mon discours de la méthode assimile-la-langue-puis-tu-verras. Ginsberg, grâce à l'indispensable Ferlinghetti, y lit, incarnée, au milieux des toux et grincements de cul, un texte qui, bien que cruellement whitmanien dans son déploiement, invente autre chose, que nous autres drogués surréalistes parvenions à, par à-coups troublés, capter. Comme un hymne cardiokarmatique venu célébrer la non-nation de nos déjà suicidées aspirations. La poésie n'est jamais salut. Elle est funéraire jusque dans ses plus sépulcrales exaltations. Et Ginsberg, lors de cette lecture historique, et politique, réussit à faire rire son auditoire. Il sait qu'il a écrit l'odyssée des déchus volontaires. Il sait, et sent, que chaque syllabe, même privée de ce souffle qu'il ne prend pas la peine de reprendre, est une brique sur la route radioactive qui mène non seulement à Haight-Ashbury, mais au cœur de l'arc en ciel de ce qu'est n'est plus l'Amérique, et ce "howl", qui résonnera de nouveau dans le sésame qu'est la ritournelle Moloch – solitude, filth, ugliness –, ce howl qui devient pure pulsation, cascade d'hosties impossibles, ce howl qu'il martèle comme un prêtre refusant acceptant le sacrifice, il le suce à même un micro irradié, en mollah lysergique, plus nu qu'il ne le sera jamais par la suite, sans chapeau oncle sam, sans aucune provocation, puisque ce "Howl" soudain se découvre partition, rampe de lancement, lieu d'où s'élancer, non dans la pure poésie, dans le lyrisme urbain, mais dans la narratif enfin piétiné de la nouvelle littérature. Crispé et généreux, s'immolant à même l'élocution électrique de ce poème qui, quand nous l'avons entendu, nous a marqué au fer rouge de son exigence rythmique, Howl est, avec d'autres lectures, la pierre chauffée où ne cessent de brûler l'épicée madeleine de notre mémoire littéraire, cette fébrile ADN dont chaque brin  ne peut que revivre quand l'heure d'écrire, non pas sonne, mais résonne. Qu'importe le ridicule de Ginsberg, auquel nous n'avons plus accès (pas plus qu'au ridicule des dirigeants de l'époque, bistouille coincée entre partouze et rites électoraux. Howl reste. Il reste comme une grammaire en pleine exploration, foutrement éminente entre blancheur folle à la moby-dick et  défenestration with the beatles.