mardi 19 octobre 2010

Le cul et son entretien


Le cul est le cul est le cul, pénétra-t-il la substance du monde dont rien ne laissait paraître qu’elle fût à ce point divisiée en son milieu afin que toutes sortes d’objets puissent y trouver une place de choix. Comme tout fondement, qu’il soit métaphysique, modestement physique, ou ostensiblement pornographique, la base où asseoir ces nouvelles certitudes reposait pour lors sur la place centrale du vaste canapé de cuir rouge, lequel trônait à la façon d’un missile dans un coin de la salle d’attente. Elle ne va pas tarder à vous recevoir, avait lipstiqué la voix de la standardiste, et vous pourrez alors entrer dans le saint des saints, cette dernière expression délivrée comme s’il s’agissait une formule étrangère, nécessitant un accent différent. Il consulta le cadran galbé de sa montre et vit l’aiguille des minutes se roidir à l’instant de fendre le zéro pourtant introuvable sur n’importe quel cadran horloger. Derrière lui, à son insu, en plein mur, un hublot laissait couler à la verticale de sa paroi extérieure une unique goutte de pluie brûlante qu’il aurait volontiers léché s’il avait su voler, chose inconcevable pour lors.

Dans son cerveau passé en mode veille, diverses tâches en souffrance émettaient une très faible luminosité. Entre un agenda renouvelé automatiquement par la time machine de son ordinateur interne et un book de pics directement téléchargés d’un serveur nippon spécialisé dans la pixellisation des vulves européennes, magnifiquement posé sur la table du souvenir tel un cendrier rond en ivoire dont la légère dépression situé en périphérie semble attendre la belle et bonne et consumable volonté de la cigarette, un cul emblématique dont il avait oublié et le pédigree et l’indice de résistance lui servait de satellite, point trop gibbeux et suffisamment marmoréen pour qu’il puisse, à volonté, ou dans l’inconscience de la détente, y glisser soit un doigt n’ayant servi à rien d’autre qu’à un défilement d’écran tactile, soit un stylet en caoutchouc conçu dans des buts qu’il était inutile de définir avant usage.

Ce cul était pour lui une sorte de disque vierge sur lequel graver, en fonction des désirs itinérants dont il acceptait d’être la provisoire station d’accueil, ce qu’autrefois les hommes appelaient des fantasmes, mais qu’on désignait aujourd’hui par d’autres termes, moins délicats en bouche, mais un tantinet plus précis. Jamais la sexualité n’avait atteint un tel pinacle de technicité, et même une sodomie bâclée n’avait plus rien à voir avec l’antique coordination opercule-boutoir dont s’enorgueuillsaient à torts les techno-bougres du passé.

Il profita donc du bref d’attente qu’on lui imposait pour éjaculer à loisir dans le cul ergonomique qu’il avait pris soin de soumettre à divers filtres, et eus la surprise, à défaut de la joie réelle et cadencée, de découvrir, niché si l’on peut dire au cœur de l’anus virtuel, un élément que sa sagacité analysa presque aussitôt et qu’il décida dans un premier temps de qualifier de promesse.

On vint alors le chercher, et il entra doucement dans la moiteur du bureau ovale par une porte étroite qui chuinta légèrement à son approche. L’entretien fut aisé, soumis à un va et vient de bon aloi, et s’acheva par une sorte de soupir mental, signe d’une satisfaction répartie à proportions égales entre les protagonistes de l’entente.

Ce n’est qu’en rentrant chez lui, dans l’immonde poubelle gluante où s’amoncellaient factures souillées de foutre et traites maculées de vestiges excrémentiels, entre deux hoquet bilieux, alors que les bulldozers s’obstinaient à raser l’arrière du bâtiment où, illégalement, il crevait lentement, le corps recouvert d’un eczéma plus que douteux, qu’il sentit monter en lui la fleur de la promesse entrevue dans le cul mémoriel.

La promesse était si pure, si affranchie du contexte culier, qu’il douta un instant de sa réalité. Mais à mesure que ses synapses saturés de benzodiazépine dépliaient ce curieux origami, il ne pouvait que bééer devant la révélation : sous ses yeux pourtant fermés, une surface laiteuse et tendue ondulait telle une méduse, scindée en son exact mitan par une ligne qu’aucun pointeur à infrarouge n’aurait osé tracer, un orbe accueillant qui présentait même par endroits d’infimes imperfections, dont il lui sembla illusoire mais tentant de vouloir toucher le grain, aussi risqué fût l’éventuel contact, puisque passible d’une peine de travail vertigineuse.

Mais la faiblesse aidant, il laissa repousser au bout de ses avant-bras les deux mains dont la société n’avait que faire, puis la bouche qu’à la jonction de ses joues avait remplacé depuis longtemps une fente perméable aux puces, et, approchant la grille vibratile qui n’avait jamais mérité le nom de visage, il laissa les rares sucs dont la drogue d’Etat gratifiait encore ses muqueuses imbiber la précieuse slot et, doigt après doigt, s’aventura plus avant dans le dernier cercle de cette, oui, perdition.

Quand les applaudissements explosèrent, il sut qu’une fois n’est pas coutume il avait gagné. Seulement, pour la première fois, le gain brûlait comme un feu est un feu est un feu.

(Texte paru dans Inculte, n°19)

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