jeudi 22 avril 2010

Ne pas taire le bestiaire


Les éditions Folies d’Encre continuent de nous faire visiter l’interlope ménagerie de l’écrivain brésilien Moacyr Scliar. Le Carnaval des animaux, recueil de 23 nouvelles, hommes et bêtes semblent embarqués dans une dérive où tout est possible, depuis l’autophagie résignée jusqu’au recyclage bovin intégral, en passant par la vieillesse capitaliste d’un Marx ayant retourné sa veste.

En Quiroga ludique, Scliar dose avec malice et ingéniosité la tribu des pulsions humaines, créant des situations inédites, qui appellent des résolutions toutes plus surprenantes les unes que les autres. L’absurde est convoquée, solution idéale à la folie humaine : ainsi, pour lutter contre la menace léonine, les autorités recourent-elles à une bombe atomique. Las, quelques survivants continuent de rugir… Qu’à cela ne tienne, on lâche dans la savane des gazelles empoisonnées. Dans une autre nouvelle, un naufragé dépèce, vivante, la pourtant sympathique vache Carole, pour en tirer tous les partis possibles : manger sa viande et ses organes l’un après l’autre, se fabriquer des vêtements avec son cuir, se faire un chasse-mouches avec sa queue, atteler l’animal pour labourer, récupérer des graines de maïs dans les dents cariées du pauvre bovidé…

Il faudrait également parler de ce minuscule roquet qui dévore intégralement les intrus, de ce pêcheur étranger auquel on coupe les bras parce qu’il pêche sans autorisation, de cet aveugle qui croit reconnaître les voitures au bruit de leur moteur et renseigne ainsi la police non sans une certaine marge d’erreur, de cette femme obligée de se dévorer elle-même parce que sa compagne refuse de partager ses repas avec elle…

Bref, prise séparément, chaque nouvelle pétille et fait sourire, malgré son taux d’épouvante et son de gré d’absurde. Lues à la suite, elles finissent par en dire plus, par dire le pire, et c’est sans doute en lisant la nouvelle intitulée Avant l’investissement, nouvelle qui raconte l’étrange trajet de deux pauvres hères dans un train de marchandises, dans un wagon jonché d’ossements humains, que l’on se dit que Scliar ne fait que raconter le siècle passé : délation, dévoration, désillusion, trahison – oui, la part animale n’est pas la plus laide, elle est au contraire l’ultime refuge des parcelles d’humanité. Et tout ça est écrit avec la légèreté propre à Scliar, sorte d’Esope mâtiné de Kafka. L’arche de Moacyr a encore bien des secrets à livrer…

Moacyr Scliar, Le Carnaval des animaux, traduit du portugais (Brésil) par Philippe Poncet, éditions Folies d’encre, 14 €

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