mardi 30 juin 2009

The Wild Party


Joseph Moncure March
The Wild Party (traduit en français sous le titre La nuit d’enfer, éd. Flammarion, trad. Gérard Guégan)
Dessins d'Art Spiegelman


Paru en 1928, voici un livre qui a bien fait de renaître, et pas seulement pour que l’artiste Spiegelman lui rende ses contrastes de noblesse noir et blanc, pas seulement parce que William S. Burroughs le lut en 1938 alors qu’il était étudiant à Harvard et, trente ans plus tard, déclare : « C’est le livre qui m’a donné envie d’être écrivain ».
On n’ira pas jusqu’à dire que The Wild Party fut pour une génération d’Américains ce qu’Eugène Onéguine fut pour les Russes, mais le fait est que ce « roman en vers » a marqué plus d’une mémoire, par son phrasé à la fois sobre et sombre, léger et cruel. Rythmé comme une nursery rhyme écrite coudes sur le comptoir, The Wild Party décrit une soirée assez mouvementée au cours de laquelle deux couples se défont sur fond d’alcool et de fumée tabagique. Ou plutôt : The Wild Party est cette soirée folle, ce moment de débauche où l’amertume se cherche des armes vieilles comme le monde : jalousie, violence, tricherie. Le vers de Joseph Moncure March, telle une seringue hypodermique, s’enfonce avec insistance dans la veine de la rime, inoculant son poison chanteur et délétère :

She never inquired
Of the men she desired
About their social status, or wealth :
She was only concerned about their health.

L’histoire de Queenie, reine de la nuit « sexuellement ambitieuse », maquée à une brute du nom de Burrs, clown mangeur de cœurs, se déroule selon un scénario implacable : lasse de l’amour vache et des dérapages « johnny-fais-moi-mal », elle profite d’une soirée agitée pour séduire un autre homme, le dénommé Black, pour faire exploser les démons de la jalousie. Le texte de Moncure March est magnifiquement ponctué par des variations sur la flamme des bougies, façon graphique de nous rappeler que tout ça est de l’ordre du théâtre d’ombres, et peut-être aussi des enfers :

The studio was lit by candle-flame ;
Dim : mysterious : shrouded.
(…)
The Candles sputtered : their flames were gay ;
And the shadows leapt back out of the way.
(…)
The candles flared : the shadows sprang tall,
Leapt goblin-like from wall to wall ;
Excited :
Delighted :
Mimicking those invited.
{…)
The candles flared : their flames sprang High :
The shadows leaned dishevelled, awry :
And the Party began to reek of sex.


The Wild Party, bref incendie d’une scène secouée, s’efforçant d’oublier une Grande Guerre qui n’était que la répétition de la suivante, est un conte sauvage, un naufrage, la fin d’un ménage, mais aussi un enfant illégitime fait à la poésie par le hard-boiled. Les dessins de Spiegelman traitent cette orgie avec toute la folie et la brutalité chic qui s'impose, en faisant un objet graphitement parfait.

(A noter que le poème de Joseph Moncure March a donné lieu en 1975 à un film de James Ivory, avec James Coco et Raquel Welch…)

vendredi 19 juin 2009

L'avantage d'avoir un agent puissant

"Mon père est sanglé sur un brancard et va être exécuté par injection létale lorsque soudain le téléphone sonne. Tout le monde – la directrice de la prison, les avocats, le rabbin, Papa – regarde le téléphone rouge mural. C'est celui qui sonne quand le gouverneur appelle pour gracier un condamné. Mais à la deuxième sonnerie ils comprennent que ce n'est pas l'antique tintamarre d'un téléphone mural, mais la stridulation électronique aiguë d'un portable. Je sors l'appareil de la poche de mon blouson et réponds: "Allô? [C'est mon agent.] Quoi de neuf?" Tout le monde me fusille d'un regard indigné, qui semble dire: "Eh-oh, on en est pleine exécution ici" et que je détourne avec le geste international qui signifie: "Une minute, SVP" – la paume dressée à la verticale (une gestuelle plus proche du salut mimé d'un Indien d'Hollywood que du "Stop" d'un agent de la circulation, lequel est plus péremptoire et accomplie plus loin du corps). J'acquiesce: "Hun-hun, un-hun, un-hun… C'est super! Entendu, je te rappelle plus tard." Je range le téléphone dans ma poche.
— Bonne nouvelle? demande mon père.
— Ouais, si on veut, dis-je. Il semblerait que je vais remporter la Vincent et Leonore DiGiacomo / Oshimitsu Polymers America Award.
— C'est quoi? demande le médecin, en réajustant la canule dans le bras de mon père et en rapprochant le goutte-à-goutte de la civière.
— C'est un prix très prestigieux et très généreux décerné chaque année au meilleur scénario écrit par un élève du collège de Maplewood Junior – 250 000 dollars par an pour le restant de votre vie…
— Bon Dieu de bordel! s'exclame mon père.
— Mazel tov, dit le rabbin.
— Holà… un instant les amis, dis-je. Il y a un problème de taille, vous savez — le scénario n'existe pas. Je n'en ai pas écrit un seul mot. Je n'ai même pas encore le titre.
La directrice de la prison – une femme absolument renversante en robe du soir décolleté – me dévisage d'un air soupçonneux.
— Comment pourriez-vous avoir le prix s'il n'y a pas de scénario?
— C'est l'avantage d'avoir un agent puissant, dis-je."

Mark Leyner, Les Spiroboles de Bougainvillée (à paraître en Lot 49)

lundi 15 juin 2009

Seth : l'appel du 18 juin


Jeudi 18 juin, à 19h, à la librairie Pensées Classées (9, rue Jacques Cœur 75004 – 01 40 27 87 94), rencontre avec Claro autour de la parution de Golden Gate, le roman en vers de Vikram Seth (éditions Grasset). Lecture, blabla, cubi: venez très beaucoup.


(Et maintenant, tous en chœur…:)

Y a tout un paquet d’gens qui s’demand’ ben pourquoi
C’est-y qu’on traduirait des tétramètr’ iambiques
Par des aleksandrins — mais c’est n’importe quoi !
Pour faire un truc pareil, faut être psychotique…

J’m’en vais tenter d’répondr ‘ à c’te question qui tue.
Quand z ‘êt’ un translateur et qu’on vous, oui!, refile
Un bouquin pas possible, il faut pas avoir bu,
Ou alors un machin qui permet le refill.

Bon, vous vous échinez et pis vous bidouillez
Tant et si bien qu’enfin vous trouvez de chouett' rimes
Qui f’ront super jolies et même un p’tit peu frime.

Vous secouez le tout et pis vous attendez.
Au bout d’six ans un quart, l’affaire est dans le sac.
Y a plus qu’à espérer qu’ça soit pas une arnaque.

mardi 2 juin 2009

Beckett en corps

Dans le cadre du festival littéraire Paris en toutes lettres, qui aura lieu du 4 au 8 juin, Claro parlera de Beckett :

Claro | Samuel Beckett
« Beckett, entre invisibilité et mutisme, ravaudage et destruction,
entre deux langues, deux patois métaphysiques, parce que le rire
est le propre de celui qui hésite à mourir. Beckett, passant penché,
les poches lestées de cailloux – Beckett à venir, à revenir – un devenir
pour nous. » Claro
Dernier titre paru : Le Clavier cannibale, Inculte, 2009
THÉÂTRE DU CHATELET · JEUDI 4 · 19H

Il se livrera également à une lecture croisée avec Mathias Enard au Point Ephémère à 16h30 le samedi 6 juin.

Claro & Mathias Enard
Lecture croisée
« Mathias Enard procédera à une incursion dans le corps saturé
d’Emma Bovary tandis que Claro inspectera quelques recoins insoupçonnés
de la Zonenardienne », annoncent les deux complices.
On sait bien qu’avec eux, on peut s’attendre à tout. Qui vivra, verra !
À lire : Claro, Le clavier cannibale, Inculte 2009 ;
Mathias Enard, Zone, Actes Sud, 2008
POINT ÉPHÉMÈRE (ATELIER) · SAMEDI 6 · 16H30

Entrée libre. Venez très beaucoup!
Pour le programme complet, c'est .